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l a neigé.
Tout est devenu blanc.
Tout est devenu silencieux.
Tout est devenu froid et gelé.
Et moi aussi.

Je vis dans le village pokémon de Châtaurore.
Enfin, quand je dis village… Il s'agit en fait d'un immense château humain, qui s'appelait autrefois le château de l'Aurore, et qui est depuis des siècles abandonné aux caprices du temps. Et c'est là qu'une communauté de pokémons divers et variés s'est rassemblée. On ne s'est pas foulé pour trouver ce nom, je dois bien l'avouer. Mais on avait bon espoir de faire quelque chose de cette communauté en devenir.
Quoiqu'il en soit, ces grands couloirs sont propices aux courants d'air, ils n'empêchent pas la neige ni le froid de se faufiler partout, et j'ai froid.
Les autres restent enfermés chez eux, dans leurs pièces, ils se tiennent chaud. Ils ne craignent pas autant les basses températures. La plupart ont d'épaisses fourrures. Les pokémons plantes ont migré vers le sud à l'automne, accompagnés du Libégon du village. Les deux pokémons roches se sont creusés des galeries et sont partis également. Les pokémons aquatiques ont descendu la rivière pour des eaux plus clémentes. Sauf Akwakwak. Mais il n'a pas l'air de se plaindre du froid, de plus il n'est pas obligé de vivre constamment dans l'eau. C'est un pokémon nautique de naissance, et il n'en est pas à son premier hiver. Je l'envie. Les pokémons feu sont naturellement protégés, ils sont occupés à réchauffer à tout le monde. Evidemment, les mieux lotis sont ceux qui sont de glace.
Moi, je reste enfermé chez moi, près du grand feu de cheminée que m'a gentiment préparé un Dracaufeu, mais j'ai froid.
Il faut que je trouve une solution. Je ne peux pas rester là, si même le feu ne me réchauffe pas.

J'ai bien réfléchi. Je vais quitter le château.
On y a une belle vue sur toutes les montagnes environnantes, mais il y fait trop froid, et on est trop haut en altitude. Les autres sauront se débrouiller sans moi. Je leur ai expliqué mon choix. Ils l'ont compris, et l'acceptent. Cela fait un moment que cette pensée me trotte dans la tête. Le moment est donc parfaitement opportun pour mettre ce projet à exécution. Et qui sait ? Peut-être trouverai-je un dresseur ? Un qui serait rien qu'à moi…
Et aux amis que je me ferai à ses côtés, évidemment.
Les autres ont rigolé la première fois que je le leur ai dit, mais dans le fond, je ne suis pas le premier à vouloir voyager avec un humain. Ils espèrent que j'en trouverai un qui m'emmènera loin de ces températures glaciales. Et puis, je pourrai toujours revenir ici, par la suite. C'est devenu mon point d'ancrage. Après tout, même les Nirondelles reviennent, alors qu'ils pourraient rester perpétuellement là où il fait chaud.

Je passe donc toute une matinée à me préparer, prends quelques baies et mes maigres affaires dans un baluchon que je porte en bandoulière, et enfin, courageusement, je me lance pour la Grande Aventure. Dehors, c'est le calme plat. D'ailleurs, avec tout ce blanc uniforme, on croirait presque que tout est lisse. Mais qu'est ce que c'est glacé ! Il a beau être midi, le moment le plus chaud de la journée…
Rien ne bouge, tout est figé, comme maintenu suspendu dans le temps par cette chose blanche. Je ne reconnais plus rien, tout a disparu, avalé par la neige.
Et pourtant j'ai cette impression, comme un rêve… Tout est devenu si pur, et moi, pauvre tâche bleue qui ose troubler ce sanctuaire… Braver le terrible gardien qu'est le froid mordant pour souiller cette matière cristalline et scintillante avec mes traces de pas et mon souffle vaporeux…
Du courage, mon vieux, du courage, je dois quitter cette région au plus vite…

Depuis combien de temps suis-je en train de marcher ?
Chaque pas me brûle un peu plus les pattes. C'est d'ailleurs curieux cette sensation de brûlure. La glace est pourtant l'antinomie du feu… J'ai l'impression de ne plus rien ressentir. Le vent m'arrache le peu de chaleur qu'il me reste, lentement, inéluctablement. Mais peut-être est-ce ma peau qu'il me retire à petit feu ? Comment saurais-je, moi qui ne ressens plus rien… Le gardien de ce sanctuaire de pureté vient réclamer son dû, me faire payer mon audace d'avoir bravé le froid, la souillure que je lui ai infligée. Oui, c'est un combat acharné qui se jour entre lui et moi, son souffle contre mon corps, sa neige contre ma volonté. Et au loin le soleil commence déjà à décliner. La neige s'est doucement remise à tomber. Bientôt, elle va m'engloutir, à mon tour.
Je suis encore loin de mon but. Je dois trouver un abri pour cette nuit.
Non.
Je ne dois pas m'arrêter. Si je m'arrête, je vais geler sur place, même dans un abri où je n'aurai de toute façon pas l'occasion de faire du feu pour me réchauffer un peu. Je dois bouger.
J'ai froid. Non, je dois penser à quelque chose de chaud ! Je dois lutter !
J'ai froid. Un Dracaufeu me serre contre lui…
J'ai froid. Un Magmar m'envoie sa brûlante attaque déflagration…
J'ai froid. Je vais trouver un dresseur.
J'ai froid. Un rien qu'à moi.
J'ai froid. Et il me fera goûter cette chose appelée barbaraparpapa.
J'ai froid. Et il m'emmènera voir la mer, la plage, le monde… loin d'ici, de ce froid…
J'ai froid. Je suis sur une belle plage de sable blanc… Blanc, tout ce blanc…
J'ai froid. Je ne veux pas devenir une statue de glace !
J'ai froid. Je ne me laisserai pas emporter…
J'ai froid.
J'ai…

…chaud. Agréablement chaud… Une minute. Chaud ?
Lentement, mes sensations me reviennent en même temps que ma conscience. Je suis allongé. Il y a quelque chose sur moi. Un poids. Sans doute la neige qui doit recouvrir mon corps. D'ailleurs, maintenant que j'y fais attention, ça sent la neige. Cette non-odeur aquatique, à la fois fraîche et picotante. Mais pourquoi ai-je chaud ?
Non…
Ce ne peut pas…
Je suis trop jeune…
Je n'ai même pas trouvé de dresseur …
Je ne peux pas, je ne veux pas mourir comme ça !
Ma Grande Aventure ne peut pas se terminer ainsi… Pas comme ça… Qu'est ce que c'est ? Une nouvelle senteur… Sucrée et piquante…et ces bruits ? Alors c'est donc ça, le monde des morts ? Une odeur alléchante et des bruits… des bruits… des bruits de quoi au juste ? On dirait… des gens qui discutent. Que disent-ils ?
Lentement, j'ouvre les yeux. Deux formes blanches se trouvent devant moi. Floues. Des fantômes ?
Ohlala, en suis-je devenu un également ? Non, je ne veux pas ! J'ai encore des choses à accomplir ! Oui…C'est exactement ça…Comme le disait ma grand-mère, les fantômes sont les esprits de ceux qui avaient encore quelque chose à accomplir ici bas. Alors…
Je sens les larmes me monter aux yeux. Est-ce que les fantômes peuvent vraiment pleurer ou est ce juste le souvenir de mes larmes qui coule sur mes joues ?
Doucement, une des deux taches blanches devant moi se penche et me tapote les yeux avec un bout de tissu. Et ma vue devient plus nette.

Il s'agit d'un Togetic. L'autre est un Absol. Je suis dans une tanière, allongé entre de la paille et une couverture. Dans un coin, il y a un grand récipient (sans doute un reste de casserole), dans lequel bouillonne un liquide étrange, d'où s'échappe de la fumée et l'alléchant fumet que j'ai senti. L'entrée n'est pas très loin. Dehors, il fait nuit et la neige tombe toujours. Et juste à côté de l'ouverture, il y a un grand feu. Il y a également un pikachu qui pique dedans avec un bâton. Ou plutôt, une pikachu.
Ainsi donc… j'ai été sauvé. Merci Arceus tout puissant… Puis la fatigue l'emporte et je sombre à nouveau dans le sommeil.

*** ***

Le lendemain, au réveil…
Je suis au même endroit que la veille ? Je n'ai donc pas rêvé….
Les gens ont disparu, sauf le Togetic, qui emmitouflé dans une épaisse couverture, touille sa soupe de baies. L'espoir de pouvoir y goûter me redonne des forces. Puis, avec un grand sourire, mon hôte se tourne vers moi, et déclare joyeusement :
- Tu as faim ? Dis, j'te connais ! Tu viens de Châtaurore ! Tu te souviens de moi ? Je suis Lesath ! On s'était rencontrés il y a quelques mois ! Tu manges quoi ? Al' va bientôt rentrer, il est parti chercher des trucs, c'est dingue, il adore la neige, ça le rend presque de bonne humeur, je sais pas comment il fait, j'imagine que c'est son espèce qui est comme ça, attention, c'est chaud ! M'enfin, il a toujours vécu dans ce village, c'est normal qu'il soit habitué à l'hiver, et puis, il a sa fourrure, ne fais pas cette tête, ce sont juste des baies Willia et Oran, paraît que ça fait du bien contre le froid….

Tout en me servant sa soupe dans un bol sorti d'on ne sait où, il m'abreuve d'un flot de paroles continu et enthousiaste.
Bien sûr, que je me rappelle de lui. La tête pleine d'idées bizarres, de romance, et inexorablement joyeux et enthousiaste en toutes circonstances. Et je me souviens aussi de l'absol nommé Altaïr qui vit avec. Un absol assez cynique, qui râle beaucoup, qui n'aime pas grand chose, et surtout pas les humains. L'exact opposé du togetic, à vrai dire. Je les ai rencontrés quelques mois plus tôt. Ils forment un duo assez improbable : un pokémon porte-bonheur, et un pokémon porte-malheur. Mais on dit que les opposés s'attirent. Et tout deux sont inséparables. Mais lui, Lesath…
Ce togetic qui distribue du bonheur partout de ce côté-ci de la Montagne. Oh, ça oui, je me souviens de lui. Je ne risque pas de l'oublier. Lui qui exauça mon vœu, qui m'a permis d'évoluer en Aquali, en m'offrant une pierre eau…
Et là, c'est encore lui qui m'a sauvé. Quelle chance ! Oui, c'est exactement ça. De la chance incarnée. Un togetic. Et cette soupe est vraiment bonne. Elle n'a rien d'exceptionnelle, c'est juste que chaque lampée me réchauffe entièrement, jusque dans les os. Et…

Silence. Lesath me regarde d'un air inquiet.
- Hein ?
- Je disais, tu aimes la neige, toi, hein ? Au fait, elle est bonne cette soupe ?
- Je déteste la neige. La soupe est délicieuse.
Et il repart joyeusement, presque en sautillant.
- Je le savais ! Mais tu n'aimes vraiment pas la neige ? Pourtant c'est de l'eau, et t'es un pokémon eau. Et puis, Altaïr m'a dit qu'il t'avait trouvé profondément endormi dans la neige ! C'est vrai que c'est confortable, tout cotonneux et tout…
- Oui, mais… c'est froid. Je voulais me rendre dans la ville humaine. Je me suis évanoui en route. Tu sais, je suis peut-être un pokémon aquatique, mais mes écailles sont très fines, elles sont faites pour que l'eau glisse dessus, et que la pression ne m'écrase pas. Elles ne me protègent pas du froid. Je ne suis pas fait pour les grandes profondeurs. Quand j'étais un évoli, j'avais une fourrure. C'est mon premier hiver en tant qu'Aquali. Ça me fait…bizarre. J'ai l'impression de voir le monde différemment.
- Ah, oui, je te comprends. C'est une bonne idée d'aller en ville.
- Vraiment ?
- Oh oui. J'ai vécu pas mal d'années en ville, les hivers étaient moins durs qu'ici. Plus d'endroits où se mettre au chaud, plus facile de trouver de quoi manger, et au pire, il y a le centre pokémon… Et c'est en plaine, il y a moins de neige, et comme c'est plus ensoleillé, elle fond plus vite. Tu n'auras qu'à demander à Altaïr de t'emmener.
- Tu crois vraiment qu'il acceptera ? Je l'imagine mal…
- Ben, si t'essayes pas, tu sauras pas. Et puis, toute cette neige le rend joyeux, donc peut-être que ça le décoincera.
- Où est-ce que je peux le trouver ?
- Oh, il est sorti aider les autres villageois. Tu m'excuseras si je ne t'accompagne pas, mais il fait trop froid, je m'évanouis au bout de deux minutes… Cinq, si j'ai une couverture.
- Non, sérieusement ?
- Oh, oui. Je suis un pokémon vol, donc je crains naturellement le froid. Sauf que moi, j'ai pas de plumes pour me protéger.
Le ton enthousiaste sur lequel il me fait part de son malheur est vraiment déroutant, mais je lui demande de garder mes affaires, le remercie et sors.

Le hameau est assez banal, mais il est plutôt grand pour un village pokémon. Il y a quantité de nids d'oiseaux, de terriers sous les troncs d'arbres épais, de tanières creusées à flanc de falaise, le tout alimenté par une petite rivière issue d'une cascade… Et partout entre ces habitations, des traces de pas de toutes formes et de toutes tailles.
Ce qui me surprend en revanche, c'est l'activité qui y règne. Et quelle activité ! Toute une organisation, minutieuse, précise… Chacun a son rôle, sa tâche utile à la communauté. C'est donc ainsi qu'ils passent l'hiver…
Ici, un Machopeur vêtu comme un humain transporte du bois de chauffage, là un Cadoizo et un Lipoutou font la tournée des logements et distribuent de la nourriture à ceux qui n'ont plus de réserves. Sur une souche d'arbre, un Meditikka continue imperturbablement son entraînement. Une Leveinard dans un grand manteau de fourrure avec un stéthoscope autour du cou marche d'un pas rapide, accompagné d'un Magmar tenant une lourde valise médicale. Un Dracaufeu fait également la tournée des logements et ravive les feux dans les entrées, qui empêchent le froid d'entrer chez les gens et réchauffent leurs intérieurs. Sur une place, de jeunes pokémons jouent, sous l'œil protecteur d'une Feunarde shiny et d'un absol… Plus loin, un Mammochon avec un panier sur le dos s'en va dans la forêt accompagné d'un Kaiminus et d'un Mr Mime emmitouflé dans d'épais vêtements. Une minute… Un absol ?
J'ai enfin trouvé mon larron !

Tout en me demandant comment l'aborder, je m'approche. Heureusement, c'est lui qui prend la parole en premier.
- Tiens, tu es réveillé ! Tu as l'air d'aller mieux. Un peu plus et tu devenais un Givrali…
- C'est toi qui m'as trouvé ? Merci beaucoup !
- Tu es bien l'Aquali du château de l'Aurore ?
- Oui, c'est moi. Vraiment, merci !
- Je t'en prie. Evite juste de recommencer. Tu n'auras pas autant de chance la prochaine fois…
- Je me doute. A ce propos… pourrais-tu… est-ce que tu pourrais… heu… si ça ne te dérange pas… sinon je comprends hein, mais… enfin… je voulais te demander si…
- Ne tourne pas comme ça autour du pot. Qu'est-ce que tu veux ?
- Est-ce que tu pourrais m'emmener jusqu'à la ville humaine ?
- Hein ? Pourquoi faire ?
- Be-en… J'aimerais passer l'hiver là bas.
- Au milieu des humains !? Mais tu vas finir complètement givré !
A ma grande surprise, la Feunarde shiny intervient dans la conversation.
- Altaïr, emmène-le.
- Pourquoi ?
Pour toute réponse, la renarde bleue fronce les sourcils. Doucement, l'absol s'écrase au sol et recule.
- T..très bien, mais je peux au moins savoir pourquoi ?
- Je suis sûre que tu en as très envie.
Pour toute réponse, mon hôte soupire.
- Lesath va hurler. Il va me faire toute une scène si je le laisse ici. Et vous savez très bien qu'il ne peut pas sortir par ce temps.
- Non. Il va surtout pleurer. Mais ne t'en fais pas, nous nous occuperons bien de lui.
- Je ne m'en fais pas !
Puis se tournant vers moi, il déclare :
- Allons y.

Nous allons donc récupérer mes affaires. L'absol en profite pour emporter des baies en employant le même système de balluchon que moi. Contrairement à ce que je craignais, le togetic ne fait pas de scène. Mais Altaïr met longtemps à le convaincre, doucement, patiemment, qu'il ne va pas en profiter pour l'abandonner. Puis le petit pokémon bonheur m'offre deux paires de chaussettes humaines, qu'il me fixe sur le museau, les oreilles et la queue pour me tenir bien chaud. En face, le pokémon ténèbre se retient de rire.
- Lesath, je ne suis pas expert en humain mais… T'es sûr de toi, là ?
- Ouais ! C'est toujours pratique des chaussettes ! Ca peut servir à se débloquer dans un cul de sac, ou à vaincre de puissants…
- Lesath, arrêtes tes histoires…
- Mais j'ai lu ça dans des livres ! Et il aura bien chaud aux extrémités comme ça !
- Ok, j'ai compris le message. Dès que je reviens, je te trouverais un machin de Noël à décorer…
- Merciiii ! Tu reviens, hein ?
- Sauf si un crétin d'humain me capture.
Le Togetic me libère des vêtements pédestres puis me les attache sur les pattes avec des rubans.
- Altaïïïr !
- A dans trois jours Lesath.
- Reviens viiiite !

Puis nous partons. Enfin, nous essayons. A peine arrivons-nous vers les dernières habitations qu'une Pikachu nous barre la route. Celle que j'avais entrevue la veille. Ses joues crépitent, elle est prête à en découdre. Et moi, pauvre pokémon eau, j'ai peur.
- Une minute Altaïr ! Tu ne passeras pas ! Viens te battre !
- Tegmine, je t'ai déjà dit que je voulais plus te voir.
- Je vais gagner ce coup ci !
Avec un soupir, le pokémon ténèbre me dit :
- Tu ferais mieux de reculer un peu.
J'obéis, puis à mon grand étonnement, il s'assoit.
- Tu n'arriveras même pas à m'atteindre.
- C'est ce qu'on va voir !
Et sans plus de manières, la pikachu se met à courir. D'un coup, tout son corps s'électrifie et…

Trente secondes plus tard, Altaïr est toujours assis, serein, tandis que la souris électrique est allongée dans la neige, KO…
- Et voilà. Je te l'avais dit.
- Tu… ne t'en sortiras pas comme ça ! Je vais devenir encore plus forte, et je te vaincrai !
- C'est cela, oui. Veille bien sur Lesath en mon absence, tu veux ?
- Tu t'en vas ? Je viens avec toi !
- Non.
- Si ! Je permettrai pas qu'il t'arrive quoi que ce soit tant que je ne t'aurai pas battu !
- Ah, parce que tu crois pouvoir bouger ? Marcher trois jours dans la neige ?
Après un silence, elle répond :
- Non…
- J'étais sûr qu'on arriverait à se mettre d'accord.
Puis mon guide se relève et se met tranquillement en chemin, avec moi sur les talons.
Moi, qui hallucine.
- Comment t'as fait ça ? Je ne t'ai même pas vu bouger !
- Fait quoi ? Je n'ai rien fait du tout. Elle s'est électrocutée toute seule. La neige, ça reste de l'eau.
Sur le coup, je ne sais plus quoi dire. Il ajoute avec un grand sourire :
- Y a pas à dire, j'adore la neige. L'hiver est vraiment ma saison préférée. Pas de ces crétins d'humains sur les routes à me lancer des cailloux, pas de Lesath qui me jacasse dans les oreilles toute la journée, pas de Pikachu survoltée, et enfin, contrairement au reste de l'année, je suis assorti à mon environnement.
- Oh.
Je dois le reconnaître, son attitude donne à réfléchir. Il y a un fossé entre lui, et le togetic pour qui l'hiver est une malédiction. Et moi…
Moi finalement, j'ai de bonnes chaussettes en laine épaisse. Elle commencent à être mouillées, mais c'était indéniablement mieux de les avoir… L'air me picote la truffe, mais il ne me tue pas…

*** ***

La descente de la montagne vers la ville humaine est pénible. J'ai froid, très froid, je suis mouillé et mes chaussettes ne me protègent pas de tout. Je suis épuisé. Nous avons passé la nuit dans un igloo que mon guide a creusé. C'était froid, aussi ai-je dormi sur nos balluchons. Je me suis même demandé si j'allais me réveiller le lendemain. Altaïr a dit que nous arriverions dans la journée, ce qui m'a motivé.
Jusqu'à ce que je le voie.
Il était là, allongé dans la neige. Sous la neige.
Il ne bougeait plus. J'ai voulu courir vers lui, mais Altaïr m'a dit que c'était inutile. Il ne ressentait plus rien chez lui. Ce Roucool ne volerait plus jamais.
Sur le coup, j'ai presque eu envie de pleurer, mais j'avais trop peur du froid de mes propres larmes.
C'était horrible. J'ai demandé si on ne pouvait vraiment rien faire, l'enterrer, ou… Mais mon guide a répondu qu'il ne valait mieux pas. Qu'ainsi, il ne serait pas « perdu pour tout le monde ». J'étais scandalisé, mais il a rétorqué que le pokémon qui le trouverait serait bien content d'avoir un bon repas en cette saison. Il m'a expliqué que ce genre de chose arrivait tous les hivers. Les Roucool peuvent manger des Magicarpes, mais parfois, les cours d'eau gèlent, ils n'ont alors plus rien à se mettre sous le bec, plus de baies, plus d'insectes. Affamés, ils ont alors moins d'énergie pour lutter contre le froid. Puis nous sommes repartis comme nous étions venus.
Le silence était juste un peu plus lourd.


A un moment, je trouve le courage de le rompre. Quelque chose me trotte dans la tête. Et j'ai besoin de penser à autre chose que mon corps endolori par le gel.
- Altaïr ? Tu as dit… Que ce Roucool allait être mangé… Qui ferait une chose pareille ? Je veux dire…c'est quelqu'un !
- Les Magicarpes aussi. Ca n'empêche personne de les manger. Tu n'y avais jamais pensé ?
- N... non…
- Nous luttons tous pour survivre. Nos attaques ne servent pas qu'à divertir les humains. Elles nous servent au quotidien. Pour que les plus petits aient une chance de survivre face au plus gros.
- Dis…tu… ne mange…pas de pokémons, hein ?
- Non. J'ai la chance de vivre dans un village. Nous avons une serre. Elle est derrière la cascade, ainsi, l'hiver, elle est abritée du gel par le mur d'eau. Les pokémon feu la réchauffent et les plantes l'entretiennent. Nous avons des baies toutes l'année, pour tout le monde. L'hiver, on les distribue à ceux qui ne peuvent pas se déplacer, c'est tout. Mais les pokémons qui vivent en troupeau, les sédentaires… Comme les Roucools, les Etourmis entre autres oiseaux, les Medhyennas, les Caninos, les Tauros… Pour eux, c'est une autre histoire.
- Comment ils font ?
- Ils font comme ils peuvent. Nous arrivons.
Nous sortons alors de la forêt pour nous retrouver en haut d'une colline. Et en bas, je vois de grandes étendues blanches. Des champs. Et au milieu, comme une oasis, la ville.
Et une chose étonnante. En dehors de l'agglomération, dans les champs adjacents, nous voyons des silhouettes humaines.
- Qu'est ce… qu'est ce qu'ils font ?
D'un air dégoûté, l'absol me répond :
- Ils jouent.
- Ils… jouent !? Pourquoi font-ils ça ?
- Ce sont des humains. Il ne faut pas chercher à comprendre ces créatures. Mais… j'imagine que pour eux, l'hiver ne doit pas être une plaie. Après tout, j'aime bien la neige moi aussi. Quoiqu'il en soit, tu devras résoudre ce mystère seul. Je ne m'approcherai pas plus de ce rassemblement de cinglés. Bonne chance pour la suite.
Puis il tourne les pattes et s'en retourne vers la montagne, me laissant seul ici.

Je reste un moment à frissonner en le regardant s'éloigner. Puis je fais face à la ville. On m'a dit qu'elle s'appelle Grenadia. Mon avenir. Mes espoirs et mes rêves. Et c'est quasiment mort de froid que je me dirige vers eux.

En approchant des hautes habitations humaines, je vois les humains qui jouent dans la neige. Pas à pas, j'avance et je les observe. Ils sont jeunes, pour la plus grande majorité d'entre eux. Ils ont d'épais vêtements. Le froid n'a pas l'air de les inquiéter. Ils font des boules de neige qu'ils se lancent dessus. Ils en roulent d'autres par terre qu'ils empilent dans des formes approximatives. Et leurs parents les encouragent. « Oui, il est beau ton Lipoutou de neige ». « Très réussi ton Oniglali de neige ». A mes yeux, ce n'est qu'un tas de glace en poudre. Et ça ne ressemble en rien à des pokémons. Certains enfants ont des traîneaux appelés luges, tirés par leur parents ou des pokémons. D'autres ont des longs bâtons plats et allongés sous leurs pieds, qui glissent sur la neige.
Ils jouent, plaisantent et rient aux éclats.
Et moi, au milieu de ça, je souffre. Je suis enfin arrivé. Seul. Il me reste une baie. Mais je dois trouver un endroit au chaud.
Ils s'amusent, gloussent, et s'esclaffent.
Je dois faire un dernier effort. J'y suis ! Mon rêve est à portée de patte !
Ils jacassent, rigolent, et...
Et une paire de bottes.

Je lève la truffe vers leur propriétaire. Un humain. Lui aussi tire une « luge ». Il n'est pas enfant, mais n'est pas encore un adulte. Il me regarde, je le regarde. Je me rends soudain compte que je suis pitoyable à me traîner je ne sais où.
- Tu as froid ?
Quelle question idiote! Evidemment !
- Tu as un dresseur ?
Non. Je n'en ai pas. Pas encore.
- Mon pauvre, tu es complètement frigorifié.
Quel sens de l'observation. Même un aveugle s'en serait rendu compte.
- Tu veux un chocolat chaud ?
Je ne sais pas ce qu'est un chocolat. Mais je veux bien le chaud.
- Oui !
Lui n'a sûrement entendu qu'un « Aquali ! ». Mais il a l'air de comprendre.
- Viens, je vais t'emmener au centre pokémon. Ils sauront bien s'occuper de toi là bas. Je te ferai un chocolat chaud. Enfin, c'est peut-être pas le mieux pour un pokémon gelé, je ne sais pas, à vrai dire, je ne suis pas encore dresseur. Je demanderai à l'infirmière Joëlle.
Et tout en monologuant, il se dirige vers l'intérieur de la ville. Les bâtiments sont très différents du château en ruine que je connaissais. Ceux-là dégagent une impression de chaleur. Ils sont brillants lumineux, décorés… Et le long des grandes rues, les arbres ont été ornés de couleurs et de lumières. Sûrement un des trucs de Noyel dont parlait les deux pokémons qui m'ont secouru.

Nous arrivons vers une autre partie de la ville, très semblable à la première. A l'exception d'un immeuble. Il est éteint, comme mort. Il ressemble à une entité endormie, comme... comme… un arbre décharné par le gel. Devant lui, il y a des pylônes et des fils qui y pendent. Et des humains qui crient.
Je m'arrête pour observer ce qu'il se passe. A côté de moi, le garçon revient sur ses pas, voir ce que je fabrique, et voyant mon air étonné, il m'explique : la neige se dépose sur ces fils, qui sont électriques, puis fond, puis gèle, formant une couche de glace sur laquelle il neige à nouveau. Et le poids s'accumulant sur les fils, ils finissent par lâcher, coupant le bâtiment en énergie. En plus, avec la coupure du chauffage, les canalisations ont gelé, et ont fini par céder elles aussi, inondant les caves.
-Mais ne t'en fais pas, les gens qui vivaient dedans ont été relogés le temps qu'on y répare. Le problème, c'est que c'est dur de tout réparer avec le froid. En plus la centrale a des ratés à cause du gel. Mais bon, on a des générateurs de secours, avec tout plein de pokémon électriques, et des turbines et tout. C'est très impressionnant. Ils l'ont montré à la télé. Alors t'en fais pas, ça ne risque pas de tomber en panne de sitôt, tout a été prévu pour que ça tienne. Et puis, ce genre de chose arrive tous les hivers, on a l'habitude. Au pire, ils importent l'énergie d'une autre ville, comme pour la nourriture. Et puis, on l'a déjà fait une fois, tu sais ? Je m'en souviens, j'étais tout petit. On avait été transportés dans un gymnase. Maman m'avait expliqué tout ça. C'était vraiment dur, tu vois… »
Je n'ai bien sûr pas tout compris à ses explications, à cause des termes étranges qu'il emploie, mais j'ai au moins compris qu'ils ne risquent pas de perdre leur moyen de chauffage. Et qu'ils importent leur nourriture au besoin. Deux bonnes nouvelles. Alors j'acquiesce jusqu'à ce qu'il ait terminé son discours, puis nous repartons.

Ainsi la ville continue de vivre pendant l'hiver. J'ai l'impression que pour eux, c'est juste une saison un peu plus froide. Pas de quoi en faire un drame. Ils ont l'habitude, c'est dans leur mode de vie, tout comme ça l'était au village pokémon dans la montagne.
Et partout, les humains sont joyeux. Leurs pokémons également. Ils n'ont pas l'air de souffrir de l'hiver. Je vois même un Bulbizarre dans les bras de sa dresseuse, avec un gros bonnet sur le bulbe et une écharpe autour du cou. Il n'a pas l'air trop malheureux.
L'espoir me revient. Peut-être trouverai-je moi aussi un moyen de passer l'hiver sans trop en souffrir.
Souffrir…
Immédiatement, mes pensées reviennent à ma réalité. J'essaye de suivre cet humain que je viens de rencontrer, mais mes pattes sont congelées. Je ne peux pas marcher aussi vite que lui. Heureusement, il s'en rend compte assez vite, avant qu'il y ait de la distance entre nous.
- Oh lala, comment un pokémon eau peut-il craindre le froid à ce point ?
- Hé, l'eau ça gèle !
- Attends Aquali je vais t'aider.
- Je m'appelle Alrisha !
Evidement, il n'a pas compris mon nom. Cependant, il me soulève tout doucement et me pose sur son traîneau. Et sans que je lui demande rien, il m'emmène à travers les rues jusqu'à un grand bâtiment rouge.
- Voilà, tu verras, l'infirmière est très gentille ! Au fait, je m'appelle Maurice !
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