Team Rocket X-Squad de Malak

Veluba et Spiritomb. Spiritomb et Veluba.

Bien peu de fois l'un de ces deux noms furent prononcés sans l'autre. En très peu de temps, une bonne partie du Royaume de Johkania ne parlait plus que de ces deux partenaires, humain et Pokemon, qui s'étaient lancés dans une quête de puissance et de notoriété à travers toute la région.

Pas grand monde ne savait quelque chose sur eux, pourtant. Certes, Veluba avait été un nom important des Rassembleurs, ce groupe qui avait fait parlé de lui mais qui avait vite disparu sans qu'on sache où ni pourquoi. Mais on n'en savait pas plus sur elle, sur ses parents, ni sur ses objectifs. Quant à son Pokemon, personne ne l'avait jamais vu avant, même les plus grands érudits du royaume sur la question Pokemon.

En quelques mois, ces deux inconnus étaient devenus à la fois des redresseurs de torts efficaces, mais aussi une attraction de premier choix. La façon dont Veluba envoyait son Pokemon au combat en lui donnant des ordres et en montant des stratégies, et la façon dont Spiritomb obéissait tout en démontrant sa puissance hors du commun dans les arts spectraux et ténébreux... Tout cela était du jamais vu, à Johkania, en dehors de ce que faisait le roi avec le Pokemon ancestral de sa famille, Duancelot.

Veluba et Spiritomb traversaient les villes et hameaux au gré de leur pérégrination, et y aidaient les braves gens qui avaient besoin d'aide. Quand il n'y avait personne à aider, ils se donnaient alors en spectacle en défiant de puissants Pokemon sauvages du coin. À chaque fois, nombre de badauds étaient curieux de voir un Pokemon obéir aux instructions d'une humaine, et après cela, il n'était pas rare que certains d'entre eux se voient un jour faire de même, en se liant avec un Pokemon et en l'envoyant au combat.

C'était ainsi par l'exemple et l'admiration que Veluba comptait transmettre les idéaux d'Alexandros Deleval. Elle ne voulait pas recruter de compagnons, comme avec les Rassembleurs. Un groupe était difficile à gérer, pouvait se morceler en fonction des vues de chacun, et avec le temps pouvait passer pour une milice et s'attirer la méfiance des autorités du royaume. Et puis Veluba avait fini par comprendre que, dans le dressage Pokemon, l'intimité de l'humain avec son Pokemon était essentielle.

Spiritomb ne savait pas parler, mais le lien qu'il partageait avec Veluba était si puissant qu'il était capable de faire entendre ses pensées dans son esprit, par l'intermédiaire du Flux. Spiritomb y était un peu ouvert ; sans doute parce que dans les cent-huit âmes qui le composait, il y avait celle de Merlwin, un Mélénis.

Veluba avait passé de longs moments, seule avec Spiritomb, a essayer de percer la nature du Pokemon qu'elle avait elle-même créé. Il n'était pas juste la somme des cent-huit Rassembleurs. Il avait un esprit et une âme à lui seul. Mais parfois, quand Veluba plongeait profondément dans son esprit via le Flux, elle pouvait ressentir un petit fragment d'individualité des cent-huit personnalités. À chaque fois qu'elle parvenait à cet état si profond de compréhension, la jeune Mélénis se dépêchait de rompre le lien, trop effrayée à l'idée d'entrer en contact avec les âmes de ses victimes.

Spiritomb avait conscience de ce qu'il était, bien sûr. Veluba ne lui avait rien caché de sa naissance. Le Pokemon s'acceptait comme il était, sans chercher à se prendre la tête sur la nature de son âme. Veluba enviait son pragmatisme. C'était assez difficile pour elle de ne pas penser à ses anciens camarades à chaque fois qu'elle croisait le regard de Spiritomb. Mais pour autant, elle ne cherchait pas à repousser le Pokemon. Au contraire, elle était devenue ivre de lui.

Un soir, alors que Veluba se coucha dans une chambre d'auberge gracieusement offerte par le gérant, qui profitait de la présence de la célèbre dresseuse pour attirer plein de clients, Spiritomb s'agita. Sans faire sortir son corps immatériel et spectral de sa pierre Clé de Voûte, il fit vibrer cette dernière alors qu'elle était posée, comme toujours, sur le rebord du lit de Veluba. Même pour dormir, elle ne se séparait pas de lui.

- Qui y'a-t-il ? demanda la jeune femme.

La voix de son Pokemon se fit entendre dans sa tête, trouvant écho grâce au Flux.

- Je me disais... Je suis un fantôme. Un agglomérat d'âmes. Et en cela, je suis incapable de mourir de vieillesse. Mais toi, tu n'es pas immortelle. Qu'est-ce que je deviendrai quand tu ne seras plus là ?

Elle sentit son Pokemon clairement préoccupé, comme s'il n'avait jamais songé à cette solitude inévitable, et qu'elle l'effrayait.

- On y est pas encore, mon ami, répondit tendrement Veluba. Je n'ai même pas encore vingt ans, et en tant que demi-Mélénis, je vivrai bien plus longtemps que les humains normaux.

- Mais quand même... tu mourras un jour.

- Oui. C'est comme ça. Mais on trouvera une solution.

- De quel genre ? s'étonna Spiritomb.

- Je pourrais demander à ce Volo qui m'a aidé à te créer à te donner mon âme à ma mort. Tu aurais ainsi cent-neuf esprits en toi. Nous serions toujours ensemble. Ou comme tu es un spectre, tu pourrais toi choisir d'aller vivre chez Giratina pour rester avec moi quand je ne serai plus qu'une âme.

- Je n'y avais pas pensé... admit Spiritomb.

- Et tu n'as pas à le faire pour le moment. Nous aurons tout le temps pour cela. Profitons juste de l'instant présent. Demain, nous devons rencontrer le fils du comte de Rosalia et ses amis de la jeune noblesse. Notre réputation grandit de jour en jour !

Ce n'était pas peu dire. Si au début de leur voyage, seules les auberges minables de petits bourgs rupestres leur ouvraient leurs portes, désormais, ils étaient les bienvenus chez la plupart des nobles du royaume. La plupart d'entre eux se fichaient des Pokemon bien sûr, mais avoir une célébrité montante comme invitée les rendait plus intéressants dans les hauts lieux de la cour royale. Et Veluba y trouvait son compte, en nouant des relations avec des personnes haut placées pour étendre son projet de dressage et de combats Pokemon.

Veluba savait user de son charme, de son Flux, et souvent des deux à la fois, pour gagner les faveurs de jeunes nobliaux richissimes. Parfois, elle couchait avec eux, par tactique ou simplement par plaisir. Elle se refusait de tomber amoureuse ou de rester trop longtemps avec le même partenaire, mais s'accordait toute liberté de s'offrir aux hommes de son choix. Elle ne courrait aucun risque : avec le Flux, elle contrôlait parfaitement son corps et ne risquait pas de tomber enceinte, sauf si elle le voulait vraiment, ce qui n'était pas le cas.

Elle en vint, grâce à ses amitiés à la cour royale, à devenir riche et propriétaire d'un petit lopin de terre au sud de la ville de Jadielle, non loin de la mer. Elle décida d'y fonder un village, qui rassemblerait tous ceux qu'elle avait convaincu de se lancer dans la capture, le dressage et le combat de Pokemon. Il fut nommé Bourg de Palette, et bien qu'il ne comprenait pour l'instant que six maisons et une auberge qui faisait office de point de rassemblement des dresseurs, cela fit de Veluba une membre à part entière de la noblesse. Lady Veluba Deleval, duchesse de Bourg de Palette.

Même si Veluba revenait souvent à Bourg de Palette entre plusieurs de ses voyages pour s'y reposer, elle refusait de s'y installer définitivement. La vie sans bouger, ce n'était pas pour un dresseur Pokemon, et encore moins pour elle. Elle laissa donc la direction du village à un homme de confiance, un dénommé Fitorel Chen, à la fois dresseur et homme de savoir sur les Pokemon.

Un jour, alors qu'elle était en... amitié très proche avec Lord Emmeniel, fils cadet du baron de Parmanie, ce dernier l'invita à l'accompagner à un banquet organisé au château royal des Karkast, au Mont Argenté, pas moins ! Veluba n'avait encore jamais accédé à ce niveau de la royauté, et ce serait une chance de convertir à sa cause les plus hautes personnalités de la cour, peut-être jusqu'au roi lui-même. Elle accepta donc.

Le roi Murfes III était pour ainsi dire un vieux croulant aux portes de la mort qui ne se montrait plus, et qui laissait les affaires du royaume à son fils et héritier, le prince Edmus. Ce fut lui qui présida le banquet, et dès le début, il insista pour avoir la duchesse Veluba à ses côtés. Il prétendait vouloir parler des Pokemon et des moyens de s'en servir pour le bien du royaume, mais durant tous le banquet, il ne cessa de dévisager Veluba avec un regard pour le moins lubrique. Veluba ne fit rien pour le décourager, le touchant autant que possible et se servant de son Flux pour attiser son désir. Naturellement, son compagnon du moment, Lord Emmeniel, ne put cacher sa jalousie, mais face au prince héritier, il se garda de protester.

- Vous êtes une femme fascinante, assurément, duchesse, fit le prince vers la fin du banquet. Et votre Pokemon l'est tout autant, bien sûr. Si je ne craignais pas de me montrer comme un hôte méprisable, je vous avouerai bien mon désir de vous posséder tous deux.

Veluba lui fit un sourire aussi séduisant que désolé.

- Hélas, mon prince, je suis uniquement promise aux Pokemon.

- Alors, parlons Pokemon. Il se trouve que je suis un dresseur aussi, selon votre définition de la chose. C'est moi qui représente le souverain mon père lors des batailles, et Duancelot, le Pokemon lige de la lignée Karkast, se bat pour moi. Que diriez-vous donc d'un combat ? Votre Spiritomb contre Duancelot ?

- Mon prince, vous m'honorez, mais il serait dégradant de faire combattre l'honorable Duancelot pour de l’esbroufe.

- N'y pensez rien, ma chère. Duancelot a besoin de s'entraîner pour demeurer le plus fort Pokemon du royaume. Il a plus l'habitude de combattre des humains en armes que ses congénères Pokemon, et c'est regrettable. Organisons cela ! Qu'en pensez-vous, vous tous ? Ce sera un divertissement comme jamais cette cour n'en aura eu !

Il s'était levé pour s'adresser à tous ses invités, qui rugirent leur approbation d'un seul homme. Veluba était un peu gênée. Elle ne pourrait pas refuser dans ces conditions, mais humilier le prince héritier devant tous les nobles les plus puissants du royaume ne lui semblait pas prudent. Devait-elle demander à Spiritomb de faire semblant de perdre ?

Edmus fit donc venir Duancelot, qui ressemblait à un chevalier miniature en armure intégrale, avec une cape et une épée à double lame très épaisse, marquée de différents sceaux. Il avait certes la réputation de plus puissant Pokemon du royaume, mais sans un dresseur compétant pour lui donner des ordres précis et stratégiques, Veluba ne doutait pas qu'elle puisse l'emporter.

- Faisons un pari sur le résultat, ma dame, proposa le prince. Ce serait pimenter les choses, n'est-ce pas ? Le gagnant aura le droit de demander un souhait au perdant, qui devra le lui accorder si c'est en son pouvoir.

Veluba eut alors un regain d'intérêt pour ce combat. Demander ce qu'elle voulait au prince ?

Elle se voyait déjà obtenir des fonds sans limite pour développer Bourg de Palette, ou encore pour créer la réserve de Pokemon qu'elle désirait tant. Elle eut la bêtise d'accepter tout de suite, sans même demander à connaître le vœu du prince. Sûre de sa victoire, elle déchanta vite face à la puissance et à la maîtrise de Duancelot.

Certes, Edmus n'était pas un dresseur aussi doué qu'elle, mais Duancelot compensait cela par sa propre expérience des combats. Ce Pokemon vivait depuis plus d'un millénaire, alors que Spiritomb, lui, était tout jeune. Sa magie des sceaux, qui lui permettait d'user d'attaques de différents types, mis à mal les différentes stratégies bien huilées de Veluba. Au final, le combat dura un moment et tenu en haleine toute la court, mais Duancelot finit par l'emporter.

Ce fut la toute première défaite en combat Pokemon de Veluba, et elle en resta ébahie durant un long moment. Tellement ébahie, que quand lorsque le prince Edmus, victorieux, lui demanda alors de devenir son épouse, elle se contenta de hocher la tête de façon absente, comme si plus rien n'avait d'importance désormais.


***


Le roi Murfes III périt de vieillesse quelque mois plus tard, faisant d'Edmus le nouveau roi de Johkania, et de Veluba la reine. Assise aux côtés de son roi et époux dans la salle du trône millénaire des Karkast, elle se demandait toujours comment elle en était arrivée là. Bien sûr, son sort était loin d'être catastrophique. Elle était la reine, et Edmus, profondément amoureux d'elle, était ravi de lui céder tout ce qu'elle désirait. Elle avait largement agrandi Bourg de Palette et développée le dressage dans toute la région. Elle avait mis en place des lieux de protection pour les Pokemon, et mis fin à des hostilités avec telle ou telle ville qui duraient depuis des lustres.

En clair, elle avait fait tout ce dont elle rêvait. La seule contrepartie était de partager tous les soirs la couche d'Edmus, qui était un bel homme, et un souverain sage et bienveillant. Elle aurait pu tomber sur pire, étant donné la propension de la lignée Karkast à produire une fois sur deux des rois tyranniques et égocentriques. Aussi, quand Edmus lui fit part de son désir d'avoir un enfant d'elle, elle ne put que lui accorder. C'était son devoir de reine et d'épouse.

Elle se servit donc de son Flux pour être sûre de tomber enceinte, sachant que ce serait la seule et unique fois : les femmes Mélénis devenaient automatiquement stériles après leur première couche. Elle espérait donc donner au roi un fils, pour qu'il puisse perpétuer la lignée Karkast sans complication. Et son souhait lui fut accordé. Elle donna naissance à un fils vigoureux, le prince Dantelion, qui fit la fierté du roi. Et la maternité apporta à Veluba une nouvelle occupation et de nouveaux espoirs.

Elle était heureuse, ou du moins, elle le pensait. Mais il y avait une chose qu'elle avait perdu en devenant reine puis mère : sa liberté. Elle ne pouvait plus vagabonder dans toute la région comme avant, défiant des Pokemon au hasard et rencontrant des gens qu'elle exhortait au dressage. Ça lui manquait, énormément. Mais c'était Spiritomb qui en souffrait le plus. À part s'entraîner avec Duancelot dans le château, il n'avait aucune occupation.

Et depuis sa défaite, il semblait avoir perdu confiance en lui. Veluba avait bien tenté de le consoler en lui affirmant que, malgré tout, il restait le second Pokemon le plus puissant du royaume, mais ça ne lui suffisait pas. De plus, devoir partager son âme sœur, sa dresseuse aimante, avec Edmus puis désormais avec Dantelion le rendit jaloux, mauvais, et de plus en plus désagréable. Le fait que Veluba semblait accepter sa nouvelle condition et même y prendre plaisir le rendait hors de lui.

Il en avait assez de la vie à la cour, de ces humains pompeux avec leurs tenues extravagantes... Il voulait retourner vivre au grand air, avec Veluba pour seule compagnie. Mais pour cela, il devait lui prouver qu'il la méritait, qu'il n'y avait pas plus puissant Pokemon que lui. Il lui fallait du pouvoir. Actuellement, le roi Edmus, avec Duancelot, en avait plus que lui. Pour reconquérir Veluba, il lui faudrait donc plus de pouvoir.

Un jour donc, sans prévenir, il quitta le château. Il hypnotisa l'un des gardes avec ses pouvoirs pour qu'il porte sa Clé de Voûte et ne l'amène là où il voulait. Veluba fut effondrée, et encore plus quand le roi lui interdit de partir à sa recherche. Il était trop dangereux pour une femme seule, qui plus est la reine, de se balader à sa guise, disait-il. Et elle devait rester auprès de leur fils. Veluba ne lui avait bien sûr jamais révélé qu'elle était une Mélénis et qu'elle pouvait se défendre seule, même si ses pouvoirs devaient être un peu rouillés depuis le temps.

Elle accorda à Edmus et à ses hommes lancés à la recherche de Spiritomb une semaine, pas plus. Et quand elle fut passée, elle quitta le château à la faveur de la nuit, en s'envolant par une fenêtre avec le Cinquième Niveau. Elle s'en voulait d'abandonner son fils et de désobéir à son époux et roi, mais elle était incapable de vivre sans Spiritomb. Et elle seule pouvait le retrouver, grâce à leur lien si profond et entremêlé. Elle pouvait bien marcher sans réfléchir, elle savait que ses pas la mèneraient instinctivement vers son partenaire, sans faute, peu importe le temps que cela prendra.

Et c'est ce qu'elle fit, durant des mois, au-delà du royaume, au-delà même du continent. Par mer, par terre et dans les airs, elle suivit le lien qui l'unissait à son Pokemon. Elle ne connaissait pas grand-chose du vaste monde et n'avait aucune idée de où elle allait. Elle traversa des paysages que jamais elle n'aurait pu imaginer, et vit des Pokemon totalement inconnus d'elle.

Jusqu'à que finalement, elle parvint, au-delà du grand océan, à cet énorme monceau de terre sombre et inexploré que beaucoup nommait le Continent Perdu. Avant le commencement des Terres Noires, il y avait une petite région désertique nommée Dolsurdus. Peu habitée et inhospitalière, elle semblait être constamment plongée dans une brume noire et oppressante. Les Pokemon de type Spectre et Ténèbres y étaient légions. Était-ce pour cela que Spiritomb était venu ici ? Pour être avec les siens ?

L'atmosphère ici la rendait mal à l'aise, à moins que ce soit son Flux qui réagissait. Aussi désireuse soit-elle de retrouver Spiritomb, explorer ce lieu de fond en comble ne la réjouissait nullement. Elle sentit toutefois qu'elle était assez proche de son Pokemon pour pouvoir lui parler mentalement, ce qu'elle fit.

- Spiritomb ? C'est moi, Veluba. Où es-tu, mon ami ? Je t'en prie, reviens à mes côtés...

Elle tâtonna dans le Flux pour percevoir la présence de son âme sœur. Et d'un coup, elle la sentit. Mais cette présence était très différente de celle habituelle. Elle était très froide, possessive et bien plus oppressante. Dans son esprit, deux yeux en forme de spirale rouge la dévisageaient, parasitant son Flux et l’empêchant presque de penser.

- Je ne suis plus Spiritomb. Pars. Laisse-moi. Retourne à tes humains.

Si Veluba n'avait pas été une Mélénis, elle aurait fait immédiatement demi-tour, l'esprit totalement possédé à distance par cette terrifiante présence. Elle pouvait encore ressentir l'empreinte de Spiritomb, mais totalement dénaturée et vibrante d'une puissance mal maîtrisée. Ravalant sa peur, elle se força à continuer à avancer.

C'est dans une fosse sombre, comme une immense crevasse sous la terre brune craquelée, qu'elle retrouva son Pokemon. Il était entouré de plusieurs Pokemon Spectres et Ténèbres, comme une assemblée en son honneur. Et il ne ressemblait plus à Spiritomb. Son corps spectral ordinairement violet avait pris une teinte noire, tandis que ses contours et les traits de son visage, habituellement verts, étaient devenus rouge sang. Il n'avait plus l'allure d'un tourbillon. Il avait désormais une forme humanoïde, avec des espèces de cornes sur la tête. Sa Clé de Voûte, la pierre où Volo avait scellé l'agglomérat d'âme, avait grossi, et se tenait désormais au centre de sa poitrine, débordant d'énergie obscure.

- Spiri...tomb ? balbutia Veluba.

- Je te l'ai dit : je ne suis plus Spiritomb, dit le nouveau Pokemon. Je suis Horrorscor, le tout puissant dieu de la Corruption. Et toi, tu n'es plus ma dresseuse. Je n'en ai plus besoin.

- Mais enfin... comment...?

- De la même façon que tu m'as conçu. Je suis parti à la recherche de ce Mélénis Noir, ce Volo, pour qu'il m'accorde plus de puissance. D'ailleurs, ce n'est pas son vrai nom, et loin d'être un Mélénis errant, il est l'égal d'un dieu ! Il a combiné sa magie du Flux avec des âmes supplémentaires qu'il a remodelés. Je suis désormais dix fois celui que j'étais en tant que Spiritomb !

- Pourquoi ? se désespéra Veluba. Tu étais parfait tel que tu étais !

- Si j'avais été si parfait, tu ne m'aurais pas mis au placard pour te complaire de la compagnie de ton homme et de ton rejeton. Je voulais devenir plus fort, pour être capable de battre Duancelot, de te reconquérir et de t'avoir à nouveau pour moi seul. Mais en me transformant, je me suis rendu compte toute l'absurdité de ce souhait. Je n'avais pas besoin de toi. Je me suffis à moi-même, à présent. Je vais œuvrer pour moi et moi seul. Je peux créer la corruption autour de moi et m'en nourrir. Tous les sentiments négatifs des humains, la haine, la jalousie, le désespoir... je peux les attiser autant que je veux !

- Nous nous sommes toujours battus pour au contraire créer l'entraide et l'amitié entre les humains et Pokemon, pour les rendre meilleurs ! protesta Veluba. Tu veux fouler du pied tous nos efforts ?

- Non, toi, tu t'es battue, Veluba. Moi, je n'ai jamais cru à cette fameuse union entre humains et Pokemon. Ça a marché pour nous parce que nous étions liés artificiellement.

- Artificiellement ? répéta Veluba, les larmes aux yeux. Notre lien était faux, selon toi ?

- Oui, faux, tout comme moi. Je ne suis que la somme des âmes de tes anciens camarades que tu as assassiné ! Je ne suis pas censé exister. Ce lien que nous partageons, il ne vient pas de moi, mais de ces cent-huit esprits qui qui forment mon corps ! Je me sentais constamment déchirés, il ne se passait pas un moment sans que je n'entende leur voix, que j'éprouve leur rancœur ! Mais c'est fini désormais ! En me transformant, je les ai tous fait taire à tout jamais. Je suis un et unique ; je suis Horrorscor !

Veluba sombra dans un tourbillon sans fin de désespoir et de honte. Elle ne s'était pas rendu compte qu'une part des Rassembleurs existaient encore en Spiritomb, et qu'elles tiraillaient son esprit. Ça la révoltait. Si elle avait su, jamais elle n'aurait utilisé leurs âmes ainsi pour créer une nouvelle vie avec. Elle avait pensé, naïvement, que ces âmes n'étaient plus que des matériaux. Volo l'avait trompé. Non... Elle s'était laissée tromper ! Dans son désespoir et son besoin de réparer son crime, ou du moins de faire semblant, elle n'avait pas voulu voir la dépravation de ce qu'elle avait fait.

- Je suis désolée... pleura Veluba. Sincèrement. Je n'ai pensé qu'à moi. Je me vantais d'être la personne la plus proche d'un Pokemon qui puisse exister, mais je n'ai même pas été capable de voir ce qui te rongeait... Je suis une dresseuse ratée, une Mélénis souillée et une personne ignoble... Mais je ne peux pas te laisser faire ce que tu prévois. Je passerai le reste de ma vie à expier s'il le faut, et mon amour ne te touchera peut-être jamais plus... mais je t'aimerai encore assez pour prendre tous tes péchés à ta place. Ils seront mon fardeau, à jamais.

Horrorscor éclata d'un rire froid et aiguë.

- AH ! Mais écoute-toi parler ! As-tu seulement conscience de la démesure de ton ego ? Tu joues pas les héroïnes au cœur pur, mais il n'y a pas plus coupable que toi !

- C'est vrai. J'endosserai cette culpabilité aussi, pour que les autres demeurent innocents. Tu es mon péché, et peu importe que le temps ou les sacrifices que cela prendra, je ferai en sorte que ton nom ne soit plus associé à une erreur ou un crime. Je sauverai le monde de toi... et je te sauverai toi aussi par la même occasion.

Veluba fut la première surprise de ses propres paroles, qui lui vinrent aux lèvres sans qu'elle n'ait eut l'intention de les prononcer, comme si un pouvoir supérieur les avaient décidées pour elle. C'était le Flux qui s'exprimait à travers elle, comme quand un Mélénis a enfin trouvé le but de son existence et ce qu'il est vraiment.

- Tu ne m'arrêteras pas, répliqua Horrorscor. Je suis devenu un être quasi-divin, à présent. Il y a un gouffre entre mes nouveaux pouvoirs et ta faible maîtrise du Flux offensif.

Pour prouver ses dires, Horrorscor chargea entre ses mains une sphère noire d'énergie qu'il déploya ensuite en un rayon obscur surpuissant. Veluba répliqua en une attaque lumineuse de Sixième Niveau, et quand les deux attaques se rencontrèrent, la lumière à la fois blanche et noire qui en jaillit monta comme une bulle qui engloba tout à la ronde.


***


Les membres de la X-Squad furent comme repoussés de leur vision du passé par les yeux de Veluba par le choc des deux attaques. Déséquilibré par un déluge de sensations, dont la majorité n'étaient pas les siennes, Mercutio manqua de tomber à genoux sur le sol transparent du Monde Ethérée. Il leva la tête pour voir la silhouette épurée et divine d'Erubin, qui n'avait pas bougé de où elle était.

- La suite, vous la connaissez, ou vous pouvez la deviner, dit-elle. J'ai bien sûr perdu ce combat, et j'ai réussi à m'enfuir tant bien que mal, à moitié morte. J'ai cherché à regagner le Refuse pour y quérir de l'aide... mais mes frères et sœurs Mélénis m'ont chassé. Ils ont appris le sacrilège que j'avais commis en usant du Flux pour non seulement aspirer la force vitale, mais en plus pour retenir leurs âmes et les modeler. À leurs yeux, j'étais bel et bien une Mélénis Noire, et ils n'eurent aucune confiance en mon souhait pourtant sincère de racheter mes fautes en combattant Horrorscor. Mais je ne pouvais pas leur en vouloir...

Mercutio ne pouvait pas jeter la pierre aux Mélénis de l'époque de l'avoir repoussée. Mais pour lui qui avait vu ce qui s'était passé par les yeux de Veluba, et qui ressentit ce qu'elle avait ressenti, il savait très bien que sa demi-sœur n'avait pas agi en toute conscience de ce qu'elle faisait.

- Il y a un Mélénis qui lui ne me repoussa pas, poursuivit Erubin. Mon père, Elohius. Plein de pitié pour ce que j'avais fait, il m'expliqua que Volo n'était bien sûr autre qu'Asmoth, son frère maléfique. Ce dernier avait eu connaissance de mon existence, et rien ne lui aurait fait plus plaisir que de chercher à corrompre sa nièce. Elohius s'excusa même auprès de moi de ne pas m'avoir prévenu ou cherché à me protéger de son frère. C'est alors que je tombai à genoux devant lui, en le suppliant de me donner le pouvoir de combattre Horrorscor. Et pour cela, je lui fis même don de mon âme. Je lui demandai de la remodeler grâce au Flux afin de créer une antithèse d'Horrorscor, un être capable de lui tenir tête et de repousser sa Corruption.

Erubin leva les bras comme pour se désigner et leur montrer le résultat.

- Je dus supplier longtemps. Elohius n'avait aucune envie de jouer avec l'âme et le corps de sa fille unique juste pour rivaliser avec Asmoth. Mais quand les premiers récits des atrocités qu'Horrorscor avaient commencées à commettre nous parvinrent, il se laissa convaincre. Il se servit de la Graphiria, cette branche obscure du Flux, pour me... redessiner, corps et âme. C'est avec ce pouvoir qu'il avait donné naissance à Provideum et Archangeos, et c'est avec ce même pouvoir qu'Asmoth a transformé Spiritomb en Horrorscor. Je dus renoncer à tout ce qui faisait de moi une humaine et une Mélénis. Mes désirs, mes sentiments, tout... pour laisser place qu'à une indéfectible foi en l'Innocence. J'étais devenue Erubin, troisième des Pokemon de la Lumière, et ennemie jurée d'Horrorscor. Je n'existais que pour contre-balancer la Corruption qu'il propageait.

- Vous prétendez être prisonnière de votre destin, ou un truc du genre ? questionna Galatea.

- Plus que mon destin, c'est mon essence même. Mais je l'ai choisi, et je ne regrette rien. Après ma transformation, Horrorscor et moi nous sommes affrontés un siècle durant, alors qu'il a fait alliance avec les Démons Majeurs. J'ai fini par l'emporter, en les scellant tous, avec l'aide d'amis et d'alliés que j'ai pu rassembler autour de moi, comme Cosmunia. Horrorscor a semblé faire vœu de contrition, et j'avais envie de le croire. Je lui ai pardonné, et nous sommes restés ensemble un certain temps ensuite, essayant de faire coexister sa Corruption et mon Innocence en harmonie. Les humains qui nous vénéraient ont fondé Corrocentia, un culte basé sur notre union. Pour la concrétiser, nous avons même mêlé une partie de nos âmes pour l'insérer en un bébé, qui devint notre fils spirituel. Mais cela ne dura guère. Horrorscor ne pouvait aller contre sa nature. À trop se retenir de corrompre les autres, ce fut lui-même qu'il corrompit, par la jalousie, par la haine de l'autre, par le désir de possession exclusive... Il voulut anéantir tous les Pokemon du globe, car il leur reprochait de lui voler une partie de mon amour. Et c'était vrai : j'aimais les Pokemon. Peut-être est-ce une chose qui m'est demeuré de Veluba. Or Horrorscor voulait tout cet amour pour lui seul. C'est là que Corrocentia se scinda en deux : d'un côté les Gardiens de l'Innocence, et de l'autre les Agents du Chaos. Nous finirent par nous entre-tuer. Horrorscor détruisit mon corps mais je parvins à scinder mon âme pour donner naissance aux Pokemon du Zodiaque. Quant à lui, son corps et son âme furent divisés en trois morceaux, éparpillés autour du globe. S'en suivit près d'un millénaire de conflit plus ou moins clandestin entre Gardiens et Agents. Et nous voici aujourd'hui, pour en assumer les conséquences.

- Oui, nous voici... répéta Mercutio. J'aimerai comprendre un truc. Je ne peux pas vous en vouloir d'avoir laissé votre Flux vous échapper dans un instant de forte émotion, ni de vous être laissé avoir par Asmoth. Mais comment une femme qui a déjà commis une grosse erreur en manipulant les âmes une fois peut-elle aujourd'hui avoir envie de supprimer la moitié de l'humanité pour re-jouer encore une fois avec, et à un niveau bien plus énorme. Vous n'avez pas retenu la leçon ou quoi ?

- Je ne compte pas créer quoi que ce soit cette fois, juste décupler ma propre puissance, se justifia Erubin. Il n'y a aucun risque que ce pouvoir me corrompe ou quoi que ce soit. Je suis immunisée face à la Corruption, où à tout autre désir égoïste qu'un humain pourrait avoir. La seule chose de Veluba Deleval qui perdure en moi, c'est son souhait de tout faire pour expier le péché de la création de Spiritomb.

- Vous croyez expier ce péché en éliminant la moitié de la population terrestre ? ironisa Anna. J'ai vu mieux comme repentir...

- Ce n'est pas mon péché que j'expierai, mais celui de Spiritomb, répliqua la Déesse de l'Innocence. Pour sauver le monde des conséquences de ses actes. Si ensuite l'humanité doit me haïr pour ce que j'ai fait afin de la sauver, eh bien ainsi soit-il. Si je dois devenir une criminelle encore pire qu'Horrorscor, tant mieux. Son nom disparaîtra de la haine collective, et l'on ne retiendra que le mien, celle qui a débuté tous ces malheurs et qui y a mis fin avec une décision drastique et injuste... Oui, ce sera parfait. J'endosserai tous les péchés, et je sauvegarderai ainsi l'Innocence de tous.

- LA VIE EST PLUS IMPORTANTE QUE VOTRE INNOCENCE À LA NOIX !

C'était Solaris qui venait de hurler, et ces mots choquèrent tout le monde, car ils provenaient d'une Gardienne de l'Innocence convaincue.

- J'ai moi-même commis des péchés impardonnables, poursuivit l'ancienne impératrice de Vriff. Et je ne me rachèterai pas en jouant les héroïnes tragiques qui doit endosser toute la misère du monde. Je le ferai qu'avec des actes de bonté et de justice, aussi petits soient-ils. Moi qui vivrait normalement très longtemps, j'espère en commettre suffisamment pour que ça ait une influence sur le monde dans le bon sens. Car si on accumule les plus insignifiants acte de générosité de chacun, on peut créer un chemin qui mènera le monde vers le bonheur. C'est ce que Dame Cosmunia nous a appris, et elle a dit que ça venait de vous.

Erubin eut un faible sourire.

- En effet, j'ai peut-être dû lui dire quelque chose de ce genre...

- Alors ? Votre philosophie s'applique aux autres, mais pas à vous ?

- Pour l'heure, ce n'est pas du bonheur dont le monde a besoin, mais d'être sauvé. Je vous fait confiance par la suite pour le mener vers de meilleurs horizons.

- Parce que vous croyez que tout va aller pour le mieux si vous supprimer la moitié du monde ? demanda Ithil. Toute l'humanité sera endeuillée. Ce n'est pas le soulagement d'avoir été sauvé qui primera, mais la peine, l'incompréhension et la colère. Nous ne pourrons rien bâtir à partir de ça.

- C'est juste, approuva Djosan. Tentons de forcer le sort tous ensemble, ou périssons tous ensemble en ayant essayé.

- Nous pouvons faire des miracles, pour sûr ! ajouta Goldenger. Nous sommes des héros !

- Vous imaginez la perte de chiffre d'affaire sur mes livres et tous mes produits dérivés si la moitié des humains disparaissaient d'un coup ? renchérit Bertsbrand. Moi, Bertsbrand, je ne saurai le tolérer.

Mais Erubin secoua la tête, comme face à des enfants qui refusaient de voir la réalité en face.

- Il n'y a pas d'autre solution. Je refuse de laisser cette femme qui a dévoré mon cher et tendre faire de même avec le monde entier sans rien faire.

- Qui vous a demandé de ne rien faire ? répliqua Mercutio. Aidez-nous ! Nous, on peut faire quelque chose. On arrêtera Lyre, Wrathan, et même Giratina. Faite-nous confiance, et aidez-nous ! Vous n'aurez pas besoin de sacrifier la moitié du monde et de passer pour la méchante de l'histoire.

- Vous avez beau être vaillants, vous n'êtes pas assez forts, même avec Arceus le Père à vos côtés.

- On transcendera notre force avec nos Pokemon, et tous ceux du monde entier qui eux aussi, refuseront ce que Lyre a prévu pour eux, insista Mercutio. N'était-ce pas ce en quoi vous croyiez autrefois, Veluba ? Que l'union des hommes et des Pokemon pouvait accomplir des miracles ?

Erubin garda le silence un long moment, ses yeux perdus dans le vague. Puis une nouvelle détermination illumina son regard quand il retomba sur la X-Squad qui lui faisait face.

- Alors, prouvez-le moi, fit-elle enfin. Prouvez que vous pouvez accomplir des miracles. Terrassez-moi avec vos Pokemon lors d'un combat. Montrez-moi que votre union humain-Pokemon peut surpasser la puissance divine. Car j'accomplirai mon plan, avec ou sans votre aide. Si vous voulez protéger toute l'humanité, faite-le avec vos Pokeball, non avec des mots.

Puis elle écarta les bras, et alors, les treize armes du Zodiaques apparurent au-dessus d'elle, tournoyant. Erubin s'empara de l'épée de la Vierge, aux couleurs et aux types d'Ambrirgo, et la pointa vers la X-Squad, en un geste clair de défi. Un sourire étira les lèvres de Mercutio.

- Mes amis, un Erubin sauvage est apparu, déclara-t-il à son équipe. Montrons-lui ce que nous valons.

À l'unisson, les membres de la X-Squad envoyèrent toutes leurs Pokeball, ou, pour Solaris, Ithil et Goldenger, se préparèrent eux-mêmes au combat avec leurs propres pouvoirs de Pokemon. Ce lieu à la frontière des mondes, entre l'âme, la matière et l'esprit, cette plate-forme transparente qui flottait dans cet espace infini multicolore, devint le terrain du plus important des combats Pokemon que l'humanité n'ait jamais mené.