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Une Légende s'éveille... de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 09/02/2019 à 10:49
» Dernière mise à jour le 11/02/2019 à 17:44

» Mots-clés :   Hoenn   Mythologie   Organisation criminelle   Présence de personnages du jeu vidéo

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Chapitre 6 : En mer
Même c’était devenu très risqué, les récolteurs continuaient de prendre la mer. Les mesures de sécurité avaient simplement été renforcées (notamment la quantité de Topdresseurs par navire, qui avait quadruplé). Contre des armées organisées de Pokémons marins, ils pouvaient tenir assez longtemps pour finir un cycle de récolte de huit heures et rentrer au port. Leur rentabilité n’en avait pas moins pris un rude coup, car ils devaient en général rentrer et faire des réparations, même sommaires, tous les trois jours – contre des mois en mer auparavant. Mais dans l’ensemble, la situation était viable.

En revanche, rien ne suffisait à arrêter le Maître des Flots. Peu importaient l’escorte, les navires qu’il attaquait devaient tourner casaque dès son apparition s’ils voulaient avoir une chance de survivre. Tous les jours, plusieurs lançaient un appel à l’aide pour possible naufrage, une procédure normalement utilisée en cas de piraterie, et que le gouvernement avait conseillée contre les attaques. C’était sur ces appels, que le contrôle maritime de Hoenn lui retransmettait, que comptait l’Essex.

En théorie, une fois sur trois, le baleinier était assez proche du lieu de l’attaque pour intercepter le récolteur (et donc le Maître des Flots) avant qu’il ne rentre au port. En pratique, sur deux semaines, cette situation ne s’était produite que deux fois, et les deux fois, le premier appel avait été suivi du signal SOS, coupant court aux espoirs de l’équipage d'attraper le monstre.

La première fois, le Maître des Flots avait apparemment utilisé des attaques Glace. Peut-être une seule, étant donné ce qu’on savait sur lui. En arrivant sur les lieux, L’Essex avait trouvé un champ d’icebergs, et une trentaine de cadavres frigorifiés, sur les quatre mille personnes employées par un récolteur. L’absence de survivants avait été signalée, et le moral de l’équipage avait sombré plus profondément encore.

La deuxième fois, sept personnes purent être secourues. Pour la première fois en quatorze jours, l’atmosphère délétère de l’Essex devint festive. Non seulement du fait du réconfort de ne pas devoir de nouveau louvoyer entre des cadavres, mais aussi parce que les marins rescapés du combat pourraient enfin leur décrire l’ennemi, et son mode opératoire. On saurait enfin ce qu’on affrontait, et comment l’affronter.

Le sbire de cuisine ce jour là se surpassa pour offrir à ces sept survivants un repas digne de leur influence positive sur le navire. C’est au mess qu’un autre, n’y tenant plus, leur demanda timidement un récit du combat. Arthur, qui surveillait dans l’embrasure, laissa faire. Il était lui aussi soulagé de ne plus avoir à craindre de mutinerie. L’historiette de Heyscold ne l’avait pas spécialement effrayé, mais l’enthousiasme de l’équipage avait commencé à chuter dès le lendemain. Depuis dix jours, tous où presque avaient cédé à l’abattement, et même lui s’était laissé gagner.

Les rescapés, en revanche, s’interrompirent dans leur repas. Pour eux, le combat avait plus été un massacre, et bien qu’ayant senti l’impatience mal dissimulée de l’équipage de l’Essex, ils espéraient ne pas avoir à revivre ces souvenirs. Finalement, l’une d’entre eux prit la parole.

Ça a commencé vers neuf heures. On a vu le ciel se couvrir brusquement, et un orage éclater. Le capitaine n’a pas voulu prendre de risque, il a immédiatement ordonné de, je cite, cingler vers le port toutes voiles dehors et avec le même empressement que si on était payés pour ça. Il avait toujours été un peu… farfelu ; très compétent, mais tellement vieux jeu.

– Oui, renchérit un autre, il se comportait toujours comme si le navire avait été trois siècles plus vieux… Je lui porte un toast.

Ils levèrent leurs verres, et les vidèrent solennellement. La première à avoir parlé reprit.

Immédiatement après, c’était le branle-bas. Tous les Topdresseurs sont montés sur le pont supérieur et ont commencé à guetter l’eau autour de nous. Et ce que nous craignions tous n’a pas tardé, d’ailleurs. C’était Lui.

On sentait nettement la majuscule. Les sbires frissonnèrent, se rappelant la matinée du départ. Un ange passa, puis un troisième rescapé continua le récit.

Dire que c’était un orage… c’est encore trop faible. Un Déluge, oui. Une avalanche sans fin de gouttes d’eau grosses comme des melons, un vent qui faisait grincer le navire jusque dans ses tréfonds et qui nous déportait dans son sens comme une vulgaire barcasse, des vagues qui transformait le paysage en succession de collines, vallonnant la mer comme la terre… Nous tanguions et roulions si fort que les vétérans les plus aguerris étaient saisis du mal de mer, et ce sont eux qui L’aperçurent. J’étais… eh bien, parmi eux, quand Il a surgi.

Il s’arrêta un instant, promenant rapidement son regard sur l’assemblée.

J’ai contemplé la mort en face, aujourd’hui. J’ai vu la mer, mon amie de longue date, me devenir hostile. J’ai vu le Maître qui la possède. Et sachez-le, l’Homme n’est rien face à Lui.

Une deuxième fois, il balaya l’assemblée du regard. Satisfait de son effet, il reprit.

J’ai vu la mer s’obscurcir comme le ciel, et je crus d’abord à du pétrole, ou un poison. Puis une montagne creva les flots de sa masse inconcevable, et pointa sur nous un œil rouge comme le sang des marins morts. J’ai alors compris mon erreur : le corps du Maître des Flots était sombre et si vaste qu’il avait absorbé tout le peu de lumière que la mer recevait du ciel.

Son œil est plus grand que deux hommes, teinté du rouge le plus vif. Des lignes de cette même couleur parcourent sa tête. Ses nageoires ont la taille de deux vaisseaux de guerre, à la mesure de son corps. Quant à sa gueule, c’est le gouffre le plus noir que mes yeux aient jamais contemplé, et lorsqu’il l’ouvrit et hurla vers le ciel dont il avait fait un bouillonnement liquide au-dessus des flots, je ne saurais dire si ce que j’ai entendu était son rugissement terrible ou bien le vent s’assemblant en un typhon à sa volonté.

Oui, un typhon, et le plus vaste de tous ceux qui ont jamais déchiré le ciel et l'Océan en dessous de lui ! Un pilier d’eau envoyée dans les nuages par le vent, vingt fois plus large que notre navire, et qui nous hissa avec lui ! C’est ainsi que nous avons coulé : quand, sortant de la nuée, nous chutâmes vers l’élément liquide ! Je vous le dit : notre survie est un miracle.

– Vous inquiétez pas, il est toujours lyrique comme ça. C’est pas pour rien qu’on l’appelle Cyrano…

– Stéphanie, je te remercie de casser mon effet sur l’assistance. Ceci dit, je n’ai enjolivé que l’inutile : ma description était conforme à la réalité. Oui, le Maître des Flots est immense ; oui, Sa puissance a soulevé nos cœurs et notre récolteur, quoique pas plus que sa propre longueur, soit six cents mètres ; et oui, Il est bleu veiné de rouge. Mais dit comme ça… j’aime pas autant.

Les sbires et marins de l’Essex présents se jetèrent des regards. D’après le récit du rescapé, l’ennemi qu’ils pourchassaient était certes au-delà de toute échelle humaine, et leurs chances semblaient minces. Mais comparée à ce que les rumeurs voulues par Matthieu étaient devenues dix jours après le récit de Heyscold, cette version était juste légèrement inquiétante.

Arthur s’éclipsa discrètement. Maintenant que l’équipage était dans un bon état d’esprit, il avait à faire. D’abord, organiser l’évacuation des rescapés vers un autre navire rentrant au port, communiquer cette description du Maître des Flots à Max. Ensuite, une fois les rescapés éloignés de l’Essex, sur lequel ils ne voudraient surement pas rester, il lui faudrait faire un discours à l’équipage pour l’inciter à ne pas se relâcher.

***

La passerelle de l’Essex avait été conservée au fil des ans, sans modification majeure. Elle était certes équipée d’écrans divers en dessous de ses larges baies vitrées, mais elle n’en restait pas moins plutôt spacieuse. Arthur avait demandé à Sarah et Matthieu de l’y rejoindre, et ils y tenaient sans peine. Matthieu avait congédié le timonier et pris sa place. Ils pouvaient donc parler librement, leurs propos ne descendraient pas jusqu’à l’équipage. Max participerait également, l’Essex disposant d’une liaison Internet.

Le contrôle maritime de Hoenn vient de nous transmettre les positions des navires alentour, commença Sarah. Nous pourrons nous… débarrasser des survivants d’ici trois jours.

– C’est bien. Entre eux et mes hommes, ça risque de faire des étincelles. Des gens qui ont survécu au Maître des Flots et qui côtoient des gens qui le pourchassent, ça risque de déraper.

– À ce sujet… J’ai lu la description qu’Arthur m’a envoyée. C’est flou, mais pas très encourageant tout de même.

– Tu pense qu’il pourrait ne pas rentrer dans les balls ?

– Non, elles n’ont pas de limite théorique d’absorption. Mais…

– Arrête avec tes silences, Max. On vient de passer deux semaines avec les nerfs en boules à cause d’une idée brillante de ces-deux là, n’en rajoute pas.

– Sarah et Matthieu, savez-vous comment est organisé le système nerveux des Pokémons marins ?

– J’ai plus tendance à savoir combien ils pèsent !

– Pas vraiment, non. Pourquoi ?

– Il est décentralisé. Des ganglions nerveux répartis dans tout leur corps leur permettent de contrôler des attaques Eau, mais ça limite leur intelligence.

– Merci, Arthur, je ne l’aurais pas dit aussi brièvement… Bref. L’inconvénient majeur de ce système, observé chez tous les Pokémons Eau ou presque, est que plus la bête est grosse, plus elle a de risques de devenir schizophrène.

– Et moins d’être notre fédérateur de Pokémons marins ?

– Oui. Un Pokémon d’une taille comparable à celle d’un récolteur ne peut certainement pas se permettre d’avoir un système nerveux décentralisé. Il lui faut un gros cerveau. Mais en contrepartie, ses attaques Eau seront moins puissantes d’environ un tiers, et surtout beaucoup moins maîtrisées, requérant bien plus d’entraînement.

– Tu veux dire que le Maître des Flots serait incapable de déployer le genre de puissance qu’il a déjà montré ?

– Oui. S’il s’était entraîné, ça se saurait. Cependant, il se trouve que durant mes recherches, j’ai trouvé plusieurs allusions à un Pokémon Eau d’une taille et d’une puissance énormes. C’est souvent très flou, ou visiblement enjolivé, mais…

– Mais ?

– Pardon Sarah. Mais autant que j’ai pu le constater pour l’instant il y a des ressemblances pour le moins troublantes entre la description que vous m’avez fournie et certaines légendes hoennaises. Je n’ai pas encore pu creuser la plus prometteuse, en revanche.

– Dommage, répondit Matthieu. Bon, quoi d’autre ?

– Pas grand-chose. Dans trois jours, nous reprendrons la chasse, après avoir quitté les rescapés. Ensuite, je parlerais à l’équipage, puis… Il n’y aura plus qu’à trouver la grosse bête.

– Bien. Je pense moi aussi pouvoir arriver à quelque chose d’ici une demi-dizaine de jours.

– Bon, eh bien la séance est levée !

L’attention convergea sur Matthieu.

J’avais toujours rêvé de dire ça un jour.

C’était presque une question.

***

Confier les survivants à un autre navire, moins peuplé et retournant vers Hoenn, au Nord, se fit presque sans problème. Selon Sarah, ils commençaient à se douter que l’Essex n’était pas en mer pour pêcher du menu fretin, mais il n’y eut aucune remarque mal placée ni de leur part, ni de celle de l’équipage.

Parfois, Arthur se surprenait à penser qu’ils étaient tous paranoïaques, dans cette Team morte-née dont les seules actions coordonnées, repérables, avaient été un échec lamentable. Aux yeux de n’importe quel Hoennais habitué à des politiciens véreux, ils étaient littéralement aussi blanchis que leur argent.

Et ça ne changeait rien. Que leurs craintes d’être découverts et traduits en justice soient fondées ou pas, les effets seraient les mêmes sur la Team. Sur le long terme, ils deviendraient tous cinglés à force d’avoir peur de leurs ombres. Il leur fallait atteindre leur objectif aussi vite que possible.

Le Maître des Flots devait disparaître. C’était simple, et tellement compliqué à la fois. Il suffisait de l’enfermer dans une pokéball. Ce qui impliquait bien sûr de l’empêcher de nuire à l’Essex, mais auparavant, il faudrait déjà le trouver. Pour cela, il suffisait d’attendre que le contrôle maritime donne une position exploitable. Et pendant l’attente, les hommes ne devaient pas se laisser aller, car si la tension insoutenable retombait trop, l’échec était assuré. Donc Arthur avait juste à prononcer un discours et tout irait bien.

Et s’il n’arrivait pas à trouver une idée directrice en cinq minutes, il se rendait responsable de cet échec assuré. Quelle splendide motivation, vraiment.

Il était monté à la proue quand sa cabine était devenue vraiment trop étouffante. Impossible d’y faire les cents pas correctement ; d’ailleurs, il n’y restait jamais longtemps. Il aurait à peine pu en décrire le mobilier. La mer était plus inspirante, plus vivante. Ici, à la proue, au sommet de l’étrave de l’Essex, il pouvait à la fois contempler des kilomètres tous semblables et pourtant tous différents d’eau, qui s’offraient à ses yeux sans brume ni brouillard ; sentir l’odeur puissante de la mer, salée et un peu piquante et percevoir la force qu’elle déployait vainement contre l’Essex, parvenant à peine à faire vibrer la structure ; entendre le vent jouer avec les vagues, et subir sa morsure glacée… Ici, il pouvait laisser les idées le traverser, attentif seulement à trouver celle qui lui servirait.

Quelle importance si Hoenn sombrait ? Le monde même pouvait péricliter, les pêcheurs survivraient toujours. La mer était cruelle, mais nourricière. Pourquoi s’attacher à des questions si futiles d’économie, de politiques ? Les Hoennais, les Humains n’avaient pas besoin de lui, ils pouvaient rester dans leur folie. Les habitants des eaux, au contraire, étaient les vraies victimes, de l’économie et de l’avidité humaine. Le Maître des Flots ne faisait que leur rendre justice.

Justice ? Pouvait-il axer son discours sur la justice ? Citer les démunis et les exploités, la manne des riches. Réveiller le dégoût désormais intrinsèque de tous les Hoennais envers leurs dirigeants. Attiser la colère envers eux puis la tourner contre un ennemi, non, un adversaire, plus immédiat. Le Maître des Flots, qui ébranlait la Région, appauvrissait les pauvres – jusqu’où pouvait-il le diaboliser ? Les marins devaient avoir à nouveau peur de lui ; modérément, mais peur tout de même.

L’ingéniosité de quelques hommes – humains sonnait vraiment mieux – contre la puissance brute de la nature. Quelle bonne carotte que la gloire. Il y avait vraiment quelque chose à faire de ce côté. Après tout, les sbires n’avaient-ils pas rejoint la Team (et n’y étaient-ils pas resté) que pour la gloire et la volonté de sortir de leur médiocrité quotidienne ? S’il pouvait –

Arthur. Il faut que tu ailles faire ce discours. Maintenant.

Il ne s’était même pas aperçu de l’arrivée de Sarah.

Déjà ? Merci. J’étais perdu dans mes pensées.

– T’as intérêt à ce qu’elles aient été fructueuses. On y a tous intérêt.

– Je pense que… ça ira. Oui, ça ira parfaitement.

– Et on dirait que tu ne m’as pas comprise. Le contrôle maritime nous signale un appel à l’aide pour possible naufrage – et c’est tout près. D’ici une demi-heure, on aura enfin rattrapé notre proie.

***

Comme l’Essex était un bateau plutôt petit, tout pouvait se faire depuis la passerelle. Et Matthieu avait encore pris la place du timonier pour laisser Arthur parler avec la certitude de ne pas être interrompu. Celui-ci alluma l’interphone. Il n’était certainement pas serein pour ce maudit discours, mais malgré la… situation actuelle, il n’était pas nerveux.

En fait, il n’avait que trop attendu ce moment. S’adresser à l’équipage était important, mais pas plus que quoi que ce soit d’autre. C’était à peine planifié ! Il se lança.

Hum. Votre attention, s’il vous plaît. C’est-à-dire, si le fonctionnement du navire ne la nécessite pas, bien sûr. Si je m’adresse à vous maintenant, c’est parce que nous touchons au but. Le Maître des Flots a été repéré, non loin de nous… Dans moins d’une demi-heure, nous atteindrons sa position estimée.

C’est ce pourquoi nous sommes venus. C’est pour neutraliser cette menace vivante envers l’économie de Hoenn, dont la présence dans nos eaux menace toute notre économie. Il est inutile de vous rappeler les évènements qui nous ont frappés depuis que ce monstre rôde. Le naufrage imprévisible du Colosse, l’humiliation de notre Armée… Mais ces eaux sont nos eaux, celles que notre Nation a arrachées à une faune marine qui nous a toujours été hostile. Et qui l’est maintenant plus que jamais.

Nous nous sommes engagés dans cette expédition, nous tous, non pas pour la gloire qu’on nous donnera, mais pour la justice. Parce qu’à terre, ceux qui souffrent, ce sont les plus démunis, les plus vulnérables. Ceux dont la situation est déjà douloureuse à cause de leur exploitation par nos… chers et si efficaces dirigeants, ceux-là, le Maître des Flots les frappe en premier.

Et c’est pour ceux-là que nous sommes ici. Nous naviguons au devant d’un adversaire… redoutable, aucun doute là-dessus. Mais notre motivation, c’est tout le peuple de Hoenn, qui nous soutient et croit en nous ! Nous vaincrons, parce que nous devons vaincre. Nous sommes les derniers à oser tenir tête à la fureur réveillée de l’Océan, et si nous échouons, tout ce que nous connaissons sombrera dans le chaos, tous ceux pour qui nous nous battons seront réduits à rien, plus cruellement encore qu’ils ne le sont déjà.

Nous devons vaincre le Maître des Flots. Et vu les efforts qui ont été faits pour planifier le combat, je pense que nous vaincrons. Mais ce ne sera pas facile. Vous avez tous entendu le récit de ces marins que nous avons secouru, et ils vous ont décrit notre adversaire. S’il n’égale pas les rumeurs qui ont circulé sur lui au début de ce voyage, il n’en est pas moins largement supérieur à nous.

Non, ce combat n’est pas gagné d’avance ; mais à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ! Nous serons rudement malmenés, c’est un fait ; mais nous nous étions attendus à bien pire ! Je ne vous apprendrai rien en disant que cette créature est capable d’envoyer un récolteur par le fond. Je ne vous apprends rien, et c’est heureux. Je sais pouvoir compter sur vous tous dans les heures qui viennent.

Vous êtes venus avec moi à la poursuite du plus puissant Pokémon jamais vu ; je sais qu’en le voyant enfin, vous ne vous laisserez pas abattre par la peur. Les heures qui viennent épuiseraient n’importe qui ; mais vous n’êtes pas n’importe qui. Vous êtes ceux entre tous qui ont décidé que ce monstre devait être vaincu ; et j’ai confiance en vous pour y arriver.

Sur ce, je laisse parler le capitaine, qui voudrait préciser notre situation.

– Merci, Arthur. J’ai pu entrer en contact avec le récolteur attaqué. Ils sont à six kilomètres d’ici, et ont mis le cap vers nous. Quant au Maître des Flots, il continue de les harceler. Leurs Topdresseurs parviennent à le contenir pour l’instant, mais à notre arrivée, dans moins de huit minutes, ils auront été vaincus. Il n’y aura plus que nous et le monstre. Comme prévu, nous allons l’engager d’assez loin, et la maintenir à distance avec nos divers Pokémons tout en l’inondant sous les pokéballs. Je demande donc dès maintenant à tous ceux qui ne sont pas affectés à la salle des machines de monter sur le pont, et au timonier de venir prendre la barre.

***

Arthur était retourné à la proue. Dix-sept sbires et marins se tenaient derrière lui, impatients eux aussi. Tous scrutaient l’horizon. Le récolteur n’était plus qu’à un kilomètre et demi, mais un léger brouillard était tombé, et on ne le voyait pas. En revanche, le timonier avait confirmé sa position au radar. Plein Sud ; et il se dirigeait vers eux, ou plutôt vers Hoenn.

Après plus de deux semaines en mer, l’attente allait enfin cesser. Cette fois ci, le Maître des Flots ne pourrait pas leur glisser entre les doigts ; Sarah était déjà en train d’essayer de l’acquérir au sonar.

Là-bas !

C’était un marin qui avait crié. Arthur plissa les yeux, mais il lui fallut plusieurs secondes avant de voir la forme du récolteur, floue et indistincte dans la distance. Il resserra sa main sur la besace pleine de pokéballs qu’il portait à l’épaule. Quoi qu’il advienne désormais, tout reposerait sur la chance. Ils avaient 1523 balls ; et personne ne savait si ça suffirait.

La proue de l’Essex fendait les flots sans aucune difficulté. Bientôt, la silhouette énorme du récolteur se précisa. En revanche, aucun signe du monstre qu’il fuyait. Le brouillard environnant, la légère vibration du baleinier, et la masse écrasante de la montagne d’acier en approche formaient un tableau très calme. Ils s’étaient désormais suffisamment rapprochés pour distinguer les membres de l’équipage qui couraient en tous sens.

Soudain, la mer se mit à bouillonner furieusement à quelques encablures du récolteur. Une masse inerte fit surface ; Arthur ne comprit que c’était un Pokémon qu’en le voyant se faire aspirer par le rayon de rappel d’une ball. Le Maître des Flots lui avait sans doute infligé une attaque Ébullition, vu le geyser qui remuait encore faiblement l’eau.

Un choc secoua le récolteur ; d’un coup, il s’éleva tandis que l’eau autour de lui vibrait comme un tambour. Le monstre l’avait percuté par en-dessous : sa tête immense émergea. Emporté par son élan, il continua son ascension tandis que le récolteur glissait sur la surface lisse, et retombait dans la mer, comme un jouet secoué par un enfant.

Le Maître des Flots resta suspendu en l’air pendant un instant qui sembla durer une éternité. L’équipage de l’Essex put le contempler, enfin. Cyrano n’avait rien enjolivé : Arthur avait sous les yeux au moins six cents mètres de peau bleue roi, veinée de rouge carmin, par-dessus un ventre blanc comme neige. Il resta émerveillé par la grâce surnaturelle de cette montagne de chair pendant plusieurs secondes.

Lorsqu’il se reprit, ladite montagne avait de nouveau disparu sous la surface, et le petit baleinier dépassait un récolteur lourdement endommagé. De si près, tous purent voir la coque tordue, comme broyée par une force terrible ; le résultat du coup de tête du monstre. Mais d’autres marques la constellaient, des morceaux de glace s’accrochaient à certains endroits, d’autres dégoulinaient encore d’eau, témoins de la brutalité du combat. Les Topdresseurs sur le pont lancèrent des regards empreints à la fois de mépris et de remerciements sur l’Essex. Autant il leur épargnait plus de dégâts, autant la folie de son entreprise les consternait. Soudain, ils eurent un mouvement de recul. Arthur tourna son attention sur la mer devant la proue.

Un œil rouge sang, immense et malveillant, le fixait. La bête n’était qu’à une dizaine de mètres ; elle s’était placée par le travers, de façon à voir le nouvel adversaire qui venait à sa rencontre. On aurait dit un banc de sable brusquement révélé par quelque marée capricieuse.

Arthur rompit l’immobilité des sbires et plongea la main dans son sac. Il attrapa une ball, la sortit. Il ne se rendit compte de ce qu’il faisait que lorsque la ball quitta sa main, et aussitôt, il le regretta. Ils étaient beaucoup trop près de leur proie, bien assez près pour qu’elle les menace. Si le lancer devait échouer, le navire risquait gros. Par sa faute.

Mais la sphère rouge et blanche s’ouvrit et commença à absorber le Pokémon qu’elle avait identifié. En un instant, celui-ci fut réduit à un flot de lumière goulument absorbé par la ball. Bientôt, celle-ci se referma. L’un des sbires eut la présence d’esprit de saisir un autre ball pour la lancer si celle d’Arthur laissait s’échapper la bête ; mais il ne put jamais la lancer.

Les pokéballs étaient conçues pour absorber un Pokémon en réduisant progressivement sa taille, et se servir des fluides autour de lui pour combler le vide qu’il laissait derrière lui ; une sécurité les forçait également à se rouvrir un peu avant que leur proie ne parvienne à ressortir, pour que le système ait le temps de nettoyer l’endroit où le Pokémon se matérialiserait. Ainsi, on évitait de provoquer un accident de surpression, dû au grossissement rapide d’un Pokémon là où il y avait déjà de l’eau, ou de l’air.

Mais le Maître des Flots était beaucoup trop puissant pour une ball. À peine fut-il absorbé, que sa résistance furieuse surchargeait déjà la sécurité. La ball se brisa sans avoir pu assurer une zone de vide. Le plus grand Pokémon jamais observé réapparut dans une eau qui n’y était absolument pas préparée ; et à mesure que sa taille augmentait, il repoussait cette eau autour de lui. En une fraction de seconde, il en avait déplacé un quart de million de mètres cube.

L’Essex fut balayé par un véritable tsunami. Sa masse le protégea très peu ; sur le pont, les sbires et marins furent projetés contre les structures qui s’élevaient sept mètres derrière eux ; dans la salle des machines, les quatre personnes qui assuraient la bonne marche du baleinier percutèrent l’acier sur lequel ils veillaient ; dans la timonerie, Sarah et Heyscold tombèrent sur leurs panneaux de commandes, et eurent besoin de plusieurs minutes pour reparamétrer les instruments de navigation.

Si leur adversaire avait voulu les couler, il aurait pu le faire à ce moment-là. Mais quand Arthur, à la proue, parvint enfin à se relever, il vit le dos immense fendre les vagues devant eux, déjà loin. Il resta incrédule quelques secondes de plus, puis courut à la timonerie.