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Apocalyptica de Drayker



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Informations

» Auteur : Drayker - Voir le profil
» Créé le 06/07/2016 à 23:04
» Dernière mise à jour le 14/12/2017 à 17:54

» Mots-clés :   Drame   Présence de poké-humains   Région inventée   Science fiction   Suspense

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Chapitre -26 : Ailes brûlées
« Alors, comment trouvez-vous ce petit voyage parmi les riches les plus riches du monde ? » fit Tia en piquant une feuille de salade de sa fourchette.

Tous deux étaient assis face à face à l'une des tables du grand restaurant de la Chancellerie. Situé dans les derniers étages, il offrait une vue imprenable sur l'ensemble de la ville haute. Tout dans cet établissement suintait le luxe : des serveurs tirés à quatre épingles qui valsaient habilement entre les tables où de riches clients en smokings dégustaient des vins de Kalos hors de prix, tout en prenant garde à ne pas tâcher les nappes brodées à la main.

Will, qui avait jadis mené un train de vie très correct à l'époque où Diane et lui étaient Élitiens, n'avait pourtant jamais rien connu de tel. L'essence de la ville haute était cristallisée là, et pour la première fois, il se rendait compte d'à quel point le train de vie des politiciens, businessman et autres commerciaux était absurde.

Il reporta son attention sur Tia. La jeune femme, qui avait pour l'occasion revêtu une veste acajou de bonne facture par-dessus son chemisier, l'avait incité à choisir ce qu'il voulait au menu, tout en se contentant pour sa part d'une salade richement agrémentée. La fille du Chancelier était parfaitement à l'aise dans ce milieu ; Will, lui, se sentait totalement étranger, vêtu de son pantalon banal et de son blazer propre mais fatigué. Malgré l'insistance de Tia, il s'était contenté de commander le plat le moins cher de la carte.

« C'est… assez étrange. Je n'y suis pas vraiment habitué, concéda Will.
- Depuis combien de temps vivez-vous à Omnia ? questionna tranquillement la jeune femme.
- Bientôt dix-neuf ans.
- Vous en êtes originaire ?
- Non. Je suis né dans un petit village près de Losignan.
- Donc vous avez connu autre chose que la ville haute, sourit Tia. Il y a peu de personnes dans cette pièce qui peuvent en dire autant. Que faisaient vos parents ?
- Quoi, vous allez me faire croire que vous n'avez pas fouillé dans mon dossier ? répondit Will avec un petit rire.
- Oh, voyons, monsieur Stelmar, ce n'est pas mon genre, se défendit innocemment la jeune femme.
- Mmh. Mon père était charpentier maritime de formation, et a fini par devenir armateur. Il s'occupait d'affréter des bateaux de pêche.
- Et votre mère ?
- Ma mère est partie peu après ma naissance. Je ne l'ai jamais connue, et mon père ne parlait pas d'elle.
- Oh. Je suis désolée, lâcha Tia, contrite. J'imagine que la vie n'a pas due être très facile pour vous deux.
- Mon père était issu de la classe ouvrière, mais il gagnait bien sa vie. Il s'est bien occupé de moi, s'est assuré que je réussisse à l'école, et il n'a pas hésité à me laisser partir quand j'ai réussi les tests d'entrée à l'Académie.
- Était ? répéta Tia en arquant un sourcil.
- Il est mort d'une crise cardiaque il y a trois ans.
- Oh... »

Un silence gêné s'installa entre eux. Tia semblait réellement mal à l'aise.

« Désolée. Je… je n'aurai peut-être pas dû aborder ce sujet, s'excusa-t-elle avec tact.
- Il ne construisait plus de bateaux depuis qu'il était passé de charpentier à armateur, sauf pour son propre plaisir, raconta Will sans même savoir pourquoi. Il travaillait sur un petit voilier, un cotre qu'il avait commencé quand j'avais dans les dix ans. Tous les week-ends ou presque, on allait tous les deux dans son atelier, et je l'aidais à le construire.C'était quelqu'un de très manuel. Il adorait poncer, usiner, découper. Il disait qu'il me l'offrirait quand il serait fini.
- Il avait l'air d'être un père formidable, fit Tia en souriant faiblement.
- Il l'était. J'aimais bien passer mes week-ends à travailler avec lui.
- Vous l'avez fini, ce voilier ?
- Non, jamais, regretta Will. On n'avançait pas très vite, et on n'était que deux. Quand j'ai eu quinze ans, je suis parti à l'Académie, et je n'ai jamais vraiment eu l'occasion de revenir l'aider à l'atelier depuis.
- Vous êtes venu à Omnia juste après votre diplôme, c'est ça ? Vous avez réussi à passer du temps avec lui ? s'enquit Tia en reposant sa fourchette.
- Je suis rentré quelques fois à Losignan, mais peut-être pas autant que je l'aurai souhaité, c'est vrai. » avoua Will.

Il s'interrompit et posa ses couverts. Il était surpris d'avoir raconté cet épisode de sa vie à Tia. La jeune femme, visiblement consciente qu'il n'était pas dans son genre de s'ouvrir ainsi, appréciait cette confession à sa juste valeur, et lui lança un sourire compatissant. Voyant qu'il ne semblait pas vouloir continuer sur ce sujet, elle eut le tact d'en changer :

« Vous savez, monsieur Stelmar, je vous envie un peu.
- Vraiment ? Pourquoi donc ?
- Parce que vous connaissez la valeur des choses.
- La valeur des choses ? » répéta le détective, curieux.

La fille du Chancelier désigna l'ensemble de la salle d'un geste large.

« Vous pensez que qui que ce soit ici mérite sa place ? lança-t-elle d'un ton mesuré, mais ferme. La plupart ici ont hérité de l'entreprise familiale, ont suivi des études élitistes financées par leurs parents, et cætera. Aucun d'entre eux n'a vraiment travaillé.
- Ça s'applique aussi à vous, fit remarquer Will en engloutissant une bouchée de son steak de Frison.
- Et c'est bien pour ça que je suis un peu jalouse, s'amusa-t-elle. J'ai toujours vécu en sachant que mon père me couvrirait en cas de problème. J'ai fait des études de droit tout en sachant que je n'aurai jamais besoin d'exercer, et on m'a presque donné le diplôme.
- Et ça ne vous convient pas ? s'étonna le détective.
- Je ne vais certainement pas me plaindre, répondit Tia en secouant la tête. Je déplore simplement que vous soyez probablement la seule personne dans ce restaurant qui soit réellement consciente de l'absurdité de toute cette débauche de richesse.
-Mmh. »

Will, sentant que la jeune femme l'emmenait sur un terrain glissant, préféra reporter son attention sur son morceau de viande. Tia pencha la tête sur le côté et le fixa, un sourire malin sur les lèvres.

« Vous n'aimez pas parler de politique, n'est-ce pas ?
- J'ai été Elitien, mademoiselle, répondit Will.
- Je croyais que l'on vous apprenait toutes sortes de choses, à l'Académie. Vous devez bien avoir un avis ?
- Vous avez fait du droit, non ? Vous devez savoir que les Elitiens se tiennent loin de la politique.
- Comme les militaires, poursuivit Tia. Oui, je sais. Je sais aussi qu'ils n'ont pas le droit de former de syndicats, de faire grève, de briguer un poste de responsable politique, d'adhérer à un parti ou de répondre aux sondages d'opinion sur les personnalités politiques. Mais je ne savais pas qu'ils n'avaient pas le droit d'avoir un avis.
- J'ai appris à ne pas me préoccuper de ce genre de questions, grommela Will. Je ne suis peut-être plus Elitien, mais les vieilles habitudes ont la peau dure.
- Dommage. » soupira la jeune femme en haussant les épaules.

Elle sembla se désintéresser de la conversation et tourna la tête vers la vitre, contemplant le ballet des drones publicitaires qui voletaient sous le soleil au zénith. Elle avait fini sa salade, aussi Will resta-t-il seul à manger, tandis qu'un silence pesant s'installait entre eux.

Au bout de dix secondes, le détective n'y tint plus, et posa ses couverts en soupirant.

« Très bien. D'accord, parlons de politique. » capitula-t-il, mi-amusé, mi-exaspéré.

La jeune femme sourit d'un air vainqueur.

« Trois questions, lâcha alors le détective.
- Pardon ? fit Tia en battant des paupières.
- Je réponds à trois questions. Sur Omnia, ce qui se passe en moment, n'importe quoi. Pas plus. »

Tia fouilla dans la poche de sa veste et en sortit une cigarette. Elle l'allume, la porta à ses lèvres puis posa les coudes sur la table pour se pencher vers Will.

« Ça me va. » souffla-t-elle, une lueur d'intérêt dans le regard.

Elle parut réfléchir quelques instants, tirant sur sa cigarette d'un air pensif. L'espace d'un instant, Will se demanda si le restaurant autorisait que l'on fume, puis se dit que personne n'oserait de toute façon contredire la fille de l'homme le plus puissant d'Algosya.

« Que pensez-vous d'Omnia ? lâcha soudain Tia.
- C'est un peu vague, comme question.
- Vous n'avez jamais dit qu'elles devaient être précises, rétorqua la jeune femme.
- On voit que vous avez fait du droit, grogna Will en croisant les bras.
- Un point pour vous, sourit-elle. Je vais restreindre. Que pensez-vous de la situation actuelle de la ville ? La Résistance, les grèves généralisées qu'ils ont annoncées ce matin ? »

Will se pencha en arrière et prit plusieurs secondes de réflexion. Il se tenait au courant de l'actualité, probablement plus que le citoyen moyen, mais il n'avait jamais pris la peine de résumer son opinion à qui que ce soit, y compris lui-même, aussi prenait-il son temps pour trouver ses mots. En outre, il était face à la fille du Chancelier, il s'agissait de ne pas critiquer son père trop ouvertement.

« Je pense que ça va mal finir. Vous parliez d'élitisme et de valeur des choses, toute à l'heure, répondit-il enfin. Je pense que les gens d'en-bas en ont marre d'être gouvernés par des gens qui ne sont là où ils sont que parce qu'ils sont nés à la bonne altitude.
- Je suis née dans un avion, vous savez, sourit Tia.
- Vous voyez ce que je veux dire. Vous êtes déjà allée à la surface ?
- Non, jamais, répondit la jeune femme.
- Les gens sont attirés à Omnia par le prix de l'immobilier, la perspective de trouver un travail. Beaucoup sont des réfugiés et enfants de réfugiés, qui fuient la désertification de la région de Salmyre ou les guerres de Sinnoh. Ils arrivent ici en pensant qu'ils vont travailler dans l'ombre des immeubles pendant trois, quatre ans, avant d'être assez riches pour emménager dans la ville haute. L'image qu'a le reste d'Algosya de la ville est totalement détraquée, expliqua Will. Quand on dit Omnia, les gens imaginent les passerelles suspendues, les tours au-dessus des nuages. Personne ne pense à la surface. Ils vivent dans l'ombre, alors on les oublie. L'ascenseur social est cassé. Le seul moyen de vivre au soleil, c'est d'être né au-dessus des nuages. Les gens arrivent en pensant pouvoir se tailler leur part du gâteau, et se retrouvent coincés, trop pauvres pour monter, trop pauvres pour repartir, et obligés de vivre dans la pollution et la criminalité. Alors ils désespèrent, et la Résistance capitalise sur ça pour les rallier à leur cause. Ils sont dos au mur, et on leur offre une chance de changer les choses. Peu importe qu'on leur mente, peu importe que leur rébellion soit une illusion. Ils voient une occasion de renverser ce système qui les écrase, alors ils la saisissent.
- Vous ne pensez pas que la cause de la Résistance soit juste ? Vous l'avez dit, les conditions de vie de ces gens sont horribles. Alors il faut les changer, non ? demanda Tia.
- C'est votre deuxième question ?
- Pourquoi pas.
- Personne ne sait ce qu'est la cause de la Résistance exactement, répondit Will. Nous allons vous faire tomber de votre piédestal. Sacrée déclaration. Et qu'est-ce qu'ils comptent faire ensuite ? Couper la tête des dirigeants ?
- Vous l'avez dit, les gens ont en marre d'être gouvernés par une élite qui est totalement coupée d'eux. Peut-être qu'ils veulent un système plus proche d'eux ? Une vraie démocratie ?
- Les gens sont idiots, rétorqua le détective. La démocratie, c'est le nivellement par le bas. Une foule a l'âge mental d'un enfant d'entre quatre et six ans. Comment voulez-vous qu'un enfant sache ce qui est bon pour lui ? Il va se contenter de croire le discours le mieux formulé, de suivre la personne la plus charismatique. Si la voix d'un individu informé compte autant que la voix de l'idiot du village, alors on s'expose à la tyrannie de la médiocrité.
- Alors il faut laisser un petit groupe s'enrichir sur le dos du plus grand nombre ? questionna Tia calmement.
- Je ne sais pas. Je ne prétends pas avoir de système miraculeux où chacun serait libre et où tout marcherait bien. Oui, la situation actuelle de la surface est atroce. Oui, ils vivent dans l'ombre des immeubles, dans le smog permanent et dans le crime. Mais je ne pense pas que la Résistance soit fondamentalement différente des élites qu'elle critique. Elle est du côté du peuple, pour l'instant. Les gens font grève partout à la surface, et de ce que je sais, elle recrute énormément en ce moment. Mais en admettant qu'elle réussisse ? Qu'elle fasse entendre ses revendications ? Qu'elle renverse le gouvernement de votre père ? Qui nous dit qu'elle ne va pas simplement perpétuer le système en place, comme ça s'est toujours passé dans l'Histoire ? Chaque révolution est faite pour abattre une élite, et chacune a fini par en nommer une nouvelle à la place. Qui nous dit qu'une fois que les chefs de la Résistance auront eu ce qu'ils veulent -s'ils l'obtiennent-, ils ne se contenteront pas purement et simplement de laisser le peuple là où il est pendant que eux profiteront du soleil ? Qui nous dit qu'ils se tiendront à leurs grands idéaux de justice ? Il est facile de prétendre agir pour le peuple, tant que le peuple sert nos ambitions.
- J'étais communiste jusqu'à ce que je devienne riche, féministe jusqu'à ce que je me marie, athéiste jusqu'à ce que l'avion commence à tomber, cita la jeune femme en tirant sur sa cigarette avec amusement. Le Journal d'un hypocrite. Une lecture très enrichissante. Médiocrement écrite, cela dit.
- C'est un peu l'idée. Je ne crois pas au bien-fondé de la Résistance. Peut-être qu'il y a des idéalistes dans le tas, mais je pense que la majorité profite simplement du désespoir des gens pour les récupérer à leur compte. Peut-être que je me trompe, mais l'Histoire me donne plutôt raison jusqu'ici. Et de vous à moi, je préfère être gouverné par des élitistes richissimes à l'éthique douteuse plutôt que par des gens prêts à placer des bombes dans des magasins remplis d'innocents. » acheva Will.

Il termina son repas et jeta un coup d’œil à la jeune femme. Tia, le menton posé au creux de la paume, fumait d'un air pensif, le regard légèrement relevé.

« Je crois que l'on a légèrement dépassé les trois questions, fit Will avec un léger rictus.
- Il faut dire que les réponses étaient intéressantes. Je crois que j'ai pu me faire un premier avis, sourit la fille du Chancelier.
- Ah oui ? Et quel est-il ?
- Vous êtes sacrément pessimiste, monsieur Stelmar, déplora-t-elle. Presque dépolitisé, je dirai.
- Beaucoup de gens ne s'intéressent pas à la politique. Regardez les taux d'abstention.
- Hélas. Ça devrait être un devoir citoyen. Vous allez peut-être me trouver idéaliste, mais... »

Elle s'interrompit en avisant l'entrée du restaurant, où des gens s'agitaient.

« Qu'est-ce qui se passe, là-bas ? » demanda-t-elle, intriguée.

Will se retourna et suivit son regard en fronçant les sourcils. Près des luxueuses portes qui marquaient l'entrée du restaurant, deux serveurs expliquaient à un homme qu'il ne pouvait pas rentrer. Le perturbateur insistait lourdement, et le ton montait rapidement. Le détective entendit l'homme prétexter que sa femme était à l'intérieur et qu'il devait lui parler d'urgence. Il était vêtu d'un imperméable kaki indigne du standing de l'endroit, probablement la raison pour laquelle on refusait de le laisser entrer.

Machinalement, Will porta la main à sa hanche pour vérifier que son holster était bien là. Il sentit la Pokéball de Fenrir s'agiter à sa ceinture.

« Il a l'air bien nerveux, remarqua Tia. Je me demande ce qu'il… Au nom d'Arceus ! »

Une déflagration venait de retentir, et l'un des serveurs tomba au sol, un trou sanglant en plein front. Le deuxième, blême, n'eut pas le réflexe de s'abriter, et fut abattu également. L'homme à l'imperméable, le regard fou et l'arme fumante, s'avança vers le centre de la pièce tandis que des cris de panique éclataient. Des clients apeurés se cachèrent sous les tables, d'autres appelèrent à l'aide. Will s'apprêtait à dégainer lorsqu'il remarqua l'étrange renflement sous le manteau du criminel.

Le sang du détective ne fit qu'un tour.

« A TERRE ! » hurla-t-il.

D'un bond, Will se jeta sur Tia et la plaqua au sol sans ménagement, renversant la table entre eux et la fenêtre. Au même moment, l'homme ouvrait son imperméable, dévoilant la ceinture d'explosifs qui entourait son torse.

« POUR LA RÉSISTANCE ! » hurla-t-il.

Will, dans un réflexe éclair, eut à peine le temps de décrocher la Pokéball de sa ceinture.

Il cria un ordre, et l'instant d'après, le monde se transforma en océan de flammes.