Je voudrais pas... de dragibus57

En arrivant de Bourg-Palette, Mahdid commença par aller chez lui pour manger un morceau.

Il dépouilla son courrier, écouta ses messages et fit un peu de rangement.
Ses vêtements sales - pas de quoi faire tourner une machine - atterrirent dans la panière et il mit un change propre dans son sac de voyage. Il était parti un peu précipitamment la veille et n'avait pas eu le temps faire sa vaisselle ni de ranger sa petite cuisine.
C'était le genre de détails qui l'agaçait prodigieusement. Il rentrait souvent crevé, après des journées longues et stressantes, et aimait retrouver son intérieur propre et ordonné. C'en était presque devenu de la maniaquerie.

L'appartement était un deux pièces spacieux, avec une vue largement ouverte sur la forêt alentour - Bob appréciait les grands volumes et la clarté. Ameublement classique, sobre mais confortable, pas de déco sophistiquée, juste deux lampes d'ambiance et quelques plantes vertes pour égayer le tout.
En revanche, la cuisine était suréquipée et aurait souffert la comparaison avec celle d'un grand chef !
Contrairement à d'autres célibataires qui ne voyaient pas l'utilité de cuisiner pour eux tout seuls, il aimait se préparer de bons petits repas et avait horreur de la « quick-bouffe » à base de plats industriels ou surgelés.

Il passa ensuite à l'hôtel de police pour informer son chef des derniers événements et de son intention de se rendre à Cramois'Ile.

Lestienne extirpa une feuille d'un dossier et la lui tendit :
- Sinclair a envoyé son rapport sur ce qu'il a récolté à la Forêt de Jade. Je vous le résume rapidement. Rapidement, hein ! Les morsures correspondent à celles d'un Demolosse. Les lacérations sont caractéristiques d'un Airmure. Demolosse et Airmure. Swenson a donc bien été lâché dans les bois depuis les airs. La rupture des cervicales est post-mortem, probablement due à la chute. Pas d'autres détails. Non, rien de plus.
- Airmure n'a pas de serres assez puissantes pour transporter un gaillard de la taille de Swenson… fit remarquer Mahdid.
- C'est ce qu'on s'est dit. Sinclair pense qu'ils étaient au moins deux. Au moins…

Le capitaine posa son volumineux postérieur sur un coin du bureau et croisa les bras :
- Résumons. Nous avons affaire à une bande organisée qui rafle tous les fossiles Dôme du coin dans un but encore secret et n'hésite pas à tuer pour y parvenir. Ça vous fait penser à quoi ? Hein, à quoi ?
- A la Team Rocket… Et à l'affaire du Mont Sélénite…
- Effectivement.
Bob n'y avait pas songé. Pourtant ça semblait si évident… après coup.

-Donc, reprit son chef, pendant votre absence, j'ai fait quelques recherches. Pas mal de recherches même.
- Et… ?
- Sans résultat. L'organisation a été dissoute dernièrement et Giovanni, son chef, le fameux Giovanni, a disparu de la circulation depuis plusieurs années. Disparu !
- Elle pourrait s'être reformée autour d'un nouveau caïd, non ?
- Je ne pense pas. On a contacté nos indic', ils sont formels là-dessus : aucune rumeur à ce sujet dans le milieu. Aucune.

Encore une piste possible qui s'évanouissait.

Après avoir passé quelques coups de fil et consulté le fichier informatisé de la police, Bob se rendit à Cramois'Ile.

Dès l'atterrissage, il fut enveloppé par l'atmosphère particulière de l'île.
Un mélange de désolation et de beauté sauvage.
Aucune construction, mis à part un Centre Pokémon presque désert.

Il prit le chemin qui montait vers le volcan.
Pas âme qui vive, pas une herbe, pas un Pokémon. Le vent balayait sans discontinuer la terre noire et nue. La mer venait se fracasser contre les rochers en contrebas.
Il fut rapidement enivré du sifflement des rafales et du vacarme des vagues. Au sens propre du terme : désorienté, pris de vertige.

Il devait alterner marche à pied et escalade au fur et à mesure que la pente s'accentuait.
Sa progression devint de plus en plus pénible, même pour quelqu'un d'endurant comme lui. Il devait s'agripper à chaque anfractuosité, veiller à caler son pied sur chaque prise pour ne pas dévisser.

Finalement, à bout de souffle, en nage, il atteignit le sommet.
Déception.
Il n'y avait rien. Tout, autour de lui, n'était que désolation.
Il avait espéré découvrir une construction dissimulée sur l'autre versant, l'entrée d'une grotte nouvelle, n'importe quoi qui aurait pu servir de base à une organisation criminelle. Rien.
Seul le cratère du volcan s'ouvrait à ses pieds, comme une gueule béante. La gueule de l'enfer.

Par acquis de conscience, il sortit son Arcanin.
- Cherche, cherche mon beau !
Le grand Pokémon feu fureta, la truffe au sol sur tout le périmètre et revint s'assoir en gémissant aux pieds de son dresseur. Rien. Personne n'était venu ici depuis pas mal de temps.

Il envoya Noarfang survoler le cratère du volcan.
L'oiseau déploya ses ailes immenses et plana silencieusement au-dessus du gouffre sombre. Il plongea, remonta, plongea encore, plus bas, plus loin, fouillant de ses yeux perçants chaque creux, chaque fissure du cône de lave. Il s'enfonça aussi profondément que possible dans les entrailles du volcan, durant un temps qui sembla interminable. Puis réapparut enfin.
Rien.

Bob pesta, déçu.
Son dernier espoir concernait Ernest, l'ancien élève du Professeur Chen et il s'envola directement vers les Ruines Alpha.

L'après-midi touchait à sa fin lorsqu'il rencontra enfin le chercheur.
Sa carte de police avait fait merveille : le petit scientifique prétentieux du Centre Archéologique s'était empressé de le piloter à travers les constructions en ruine pour le conduire auprès d'Ernest.
Ce dernier extrayait délicatement un fossile Dôme d'un rocher. Justement.

Le lieutenant en fut très surpris et demanda des précisions.
- Tiens, c'est curieux, fit remarquer Ernest. Vous êtes la deuxième personne aujourd'hui à me poser ce genre de questions !
- Une journaliste, grande, assez forte ?
- C'est ça…
Elle lui avait désobéi. La garce !

Le chercheur fournit à Mahdid les mêmes explications qu'à Nathalie : le Dôme était très commun sur le site et Kabuto ne méritait pas, à sa connaissance, un intérêt autre que purement scientifique.

Contrairement à elle, le policier ne fut pas tenté de soupçonner Ernest d'être le commanditaire de tout ça. Il avait effectué quelques recherches avant de venir et avait appris qu'il animait une conférence de paléontologie le jour du meurtre de Swenson. Des dizaines de témoins, un alibi en béton. De plus, le gouvernement venait d'accepter de financer son projet de parc zoologique. Il n'avait donc aucun mobile pour s'accaparer une telle quantité de Kabuto.

Bob était venu ici sans grande conviction, juste pour rencontrer le personnage.
Il aimait bien se faire sa propre opinion des gens, voir leur expression et leurs gestes, entendre les mots de leur propre bouche.
Au cas où une parole d'Ernest lui aurait donné une nouvelle inspiration, lui aurait ouvert une nouvelle perspective…

Mais les pistes se fermaient une à une. Ses espoirs de trouver enfin quelque chose de tangible s'envolaient les uns après les autres. Il ne savait plus quoi penser, plus quoi faire. Il se retrouvait dans une impasse.

Faute de mieux, il se décida à rentrer chez lui.
La journée s'étant terminée en queue de poisson, il espérait que celle du lendemain serait plus constructive.